«On ne fait pas d’élection avec des prières »Proverbe québécois

 

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  • Publié le 16 août 2022
  • Mise à jour: 17 août 2022

Il faut rendre l’intolérance intolérable !

L’attentat manqué contre Salman Rushdie vendredi dernier dans l’Etat de New York signe à de multiples égards l’échec de la fatwa prononcée à son encontre par l’Ayatollah Khomeini en 1989. Et peu importe qu’Hadi Matar, auteur des coups de couteau portés contre l’écrivain vendredi, ait basculé dans l’intégrisme religieux à l’issue d’un séjour d’un mois au Liban en 2018, l’acte barbare d’un seul homme ne cache pas la forêt de violence, de déraison, d’inanité et d’ignorance dont le fondamentalisme islamiste, l’islam radical, l’islam théocratique chiite ou sunnite recouvre la oumma mondiale - ne rompt pas l’omerta dans laquelle il plonge les plus modérés d’entre-eux et surtout ceux qui, sans même en faire partie, nous parlent d’« Islam des Lumières ». Il conviendra, et nous nous y attacherons prochainement, à décortiquer cette expression, cette conjonction axiologique aussi inepte qu’anachronique qui plutôt que de l’éclairer entretient le trouble sur l’Islam, dénature ses textes et ses messages. Car il est certain que l’Iran, qui après trois jours de silence a nié « catégoriquement » lundi toute implication dans l’attaque et en a rejeté la responsabilité sur l’auteur, ne se recommandera jamais de « l’Islam des Lumières ». Le Pakistan, l’Arabie Saoudite, sans doute pas non plus et il faudra encore vérifier si cette expression est utilisée, ce concept est étudié dans les universités de Médine et d’Al-azhar. Et si oui pour dire quoi de l’Islam et de sa foi ?

Nous ne nous plaçons jamais sur un plan théologique pour traiter des croyances religieuses, nous restons sur un plan philosophique et sociologique qui préserve la pleine liberté d’expliquer, de discuter, voire de contester leurs affirmations.
La première condition pour que les croyances constituent une foi est qu’elles forment un système universel, la seconde est qu’elles fassent l’objet d’une adhésion collective intime, adhésion qui distingue leurs adeptes du reste de l’humanité et qui les engage à une discipline commune.
De la première caractéristique de la foi, son caractère de système explicatif universel, on comprend aisément l’attirance qu’elle exerce sur l’homme, quel que soit le contenu qui la constitue. Car ce contenu compte pour peu. Ce qu’on lui demande c’est de satisfaire au besoin de sécurité et à la volonté de puissance, et il suffit à cet effet qu’il entre dans un Credo universel, expliquant tout à tous. Car ce qui fait taire les doutes et les inquiétudes personnels, ce qui provoque l’exaltation du lien social, ce n’est pas la présentation de vérités objectives toujours particulières et toujours assorties de conditions de validité et d’hypothèses, c’est l’acceptation d’un contenu comme simple occasion destinée à produire l’accord des volontés et des coeurs. L’état d’âme que produit une telle foi est l’enthousiasme. Et l’enthousiasme a des vertus politiques commodes lorsque l’unanimité du corps politique est requise pour des fins grandioses, qui n’excluent donc pas la violence. Car la crainte est une autre expression de l’enthousiasme. Le sentiment de l’unité collective qui s’exprime dans la foi se tourne en crainte, puisque, dépourvu de la force que seul un contenu représentatif donne à la vérité objective, il se trouve fatalement ébranlé dès qu’une autre croyance s’oppose à lui. Mais le même sentiment se tourne en enthousiasme, parce que sa contagion conquérante, en le mettant provisoirement à l’abri et du doute et de l’examen, lui communique par là quelque chose de grandiose et de surhumain. Les tyrannies, ce que nous appelons aujourd’hui les dictatures, tirent de ce principe ambivalent leur faculté de charmer les foules et de fasciner ceux qu’on range dans les élites. En vérité, leur origine religieuse se montre clairement dans ce principe, théocratique dans sa nature, contradictoire dans ses effets, comme l’est en général le sacré dans toutes ses manifestations, à la fois objet de terreur et d’adoration.

Si la société politique obéit à un tel esprit, si donc un système universel requérant une adhésion collective intime est ce qui dicte ses lois, cette société n’échappera pas à la fatalité de l’intolérance. Si, d’autre part, une partie de la société politique fait scission et institue pour ses membres cette foi jurée définie ci-avant, elle se trouvera, elle aussi, contrainte à l’intolérance au milieu même de la liberté.
Dans le premier cas, l’État théocratique ne pourra tolérer à l’intérieur que l’unanimité des opinions, pourtant contraire à la nature de la vie en société. Les dissensions naturelles y paraissent alors comme des complots contre la République (islamique) : la suspicion et la délation viendront corriger les défaillances de l’orthodoxie. Dans le cas où c’est une partie seulement de la société qui fait sécession pour s’organiser en religion séculière, son attitude à l’égard de la tolérance sera fonction de la situation du moment et variera comme les rapports de force avec la société tout entière. Mais au final, pour des impératifs de prudence et d’habileté, elle finit toujours par se conformer à l’unique maxime de la subversion et de la conquête.
Dans la Lettre sur la tolérance (1689), le philosophe anglais John Locke propose, en conséquence, de répondre par l’interdiction légale à l’intolérance : « Ceux, dit-il, qui attribuent aux fidèles, aux religieux et aux orthodoxes, c’est-à-dire à eux-mêmes, un privilège ou pouvoir qui les place au-dessus des autres mortels dans les affaires civiles ; ou ceux qui, sous le prétexte de la religion, revendiquent une autorité sur des hommes qui sont étrangers à leur communion ecclésiastique ou qui s’en sont séparés de quelque façon ; ceux-là ne peuvent avoir aucun droit à être tolérés par le magistrat, comme ne peut en avoir aucun de ceux qui refusent de proclamer que ceux qui contestent leur propre religion doivent être tolérés. Car que signifient toutes ces doctrines, sinon que, dès que l’occasion se présentera, ceux qui les professent attaqueront les lois de la république et la liberté et les biens de ses citoyens ? et que la seule chose qu’ils requièrent du magistrat, c’est qu’on leur accorde liberté et indulgence jusqu’au moment où ils auront en suffisance richesses et forces pour tenter l’aventure ? ».

Ce texte, écrit cent ans avant la Révolution française et trois cents ans avant la fatwa de l’Ayatollah Khomeini n’a en rien perdu de son sens, de son actualité et de sa force face aux interdits religieux et notamment à l’apostasie. Nos sociétés contemporaines, plus faibles que l’Angleterre des XVIIe et XVIIIe siècles, et moins sûres de leurs lois, sont moins sévères aussi contre les groupes qui les menacent. John Locke demandait que l’intolérance fût mise hors la loi par le magistrat. Plus proche de nous, Voltaire comptait plutôt sur le ridicule, ennemi efficace de l’enthousiasme dans une société aristocratique, et qui serait trop faible dans une démocratie moderne.
Quant à nos sociétés, démocratiques, leur défense repose sur le suffrage, sur les mœurs et sur l’intelligence que les citoyens peuvent prendre de leurs intérêts. L’intolérance conduit à l’inquisition quand elle a conquis le pouvoir et à la guerre civile quand elle le conquiert. Ce n’est pas moins que ce que décrit et combat dans ses écrits Salman Rushdie. Car si l’envers de l’enthousiasme est la crainte, l’endroit de l’intolérance politique et religieuse c’est la liberté. Il faut rendre l’intolérance intolérable et honneur aux défenseurs de la liberté. Prompt rétablissement Monsieur Salman Rushdie !

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L’invasion de l’Ukraine par la Russie ne doit laisser personne indifférent !!! Outre les condamnations, il faut agir pour redonner et garantir son intégrité territoriale à l’Ukraine afin d’empêcher tout autre pays de suivre l’exemple terrible de cette invasion par la force.

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