«On ne fait pas d’élection avec des prières »Proverbe québécois

 

Nouvelles équipes municipales : ces élus délégués aux relations avec les cultes...

Paris, Lyon, Toulouse, Poissy, Montreuil, Levallois-Perret, Compiègne, Tassin-la-demi-lune, Saint-Etienne, Puteaux, Nanterre, Villepinte,..., la liste n’en finit pas de ces nouvelles équipes municipales comptant un adjoint ou un conseiller municipal délégué aux « relations avec les cultes ». Tantôt couplée avec la citoyenneté, parfois avec la promotion de la laïcité, la « relation avec les cultes » est aussi souvent associée à « la sécurité publique ». Petit panorama des modalités de cette nouvelle relation qui s’institutionnalise entre les cultes et les mairies, et pour tout dire qui revisite celle entre les Églises et l’État.

Il serait tout à fait faux de dire que l’attribution d’une délégation de « relation avec les cultes » est un phénomène nouveau dans les équipes municipales. Toutefois si l’on consulte la composition des conseils municipaux récemment élus, on note que cette délégation y est de plus en plus répandue, mais rares sont les élus, comme Kader Selmet, 12ème adjoint au maire de Nanterre, délégué au quartier Chemin de l’ile et aux relations avec les cultes, à n’avoir que cette seule délégation.
On observe également que les élu(e)s Adjoint au Maire qui ont la charge de cette délégation sont plus de en plus souvent les adjoints qui cumulent la sécurité publique. Par ailleurs, à l’évidence, la taille de la commune n’est pas un critère décisif pour leur attribuer cette délégation , désormais plutôt dévolue aux conseiller municipaux délégués, voire même « subdélégués » comme Laurence Navalesi, à Nice (322.542 habitants en 2015), « conseillère municipale subdéléguée aux Relations transfrontalières, à l’Enseignement privé et aux Cultes » quand, Monique Verte, 4ème adjointe au Maire de Villepinte (36.514 habitants en 2015) est déléguée à la Politique de la Ville, aux Relations avec les Cultes et au Dialogue Interreligieux.
Le plus souvent donc, la délégation se complète d’autres missions avec parfois quelques attributions à la cohérence surprenante. Ainsi à Montreuil (93), Frédéric Molossi est l’Adjoint délégué aux commerces, aux marchés et aux relations avec les cultes. Ou encore, à Puteaux (92), Thierry Sturbois est Conseiller municipal délégué à l’Eau et à l’Assainissement, aux Relations avec les cultes... Mais en général, la cohérence prévaut dans les différentes missions de ces délégations : A Lyon, Madame Florence Delaunay, Conseillère municipale, a reçu la délégation « Droits et égalités, mémoire, culte et spiritualité ». À Saint-Etienne, Jean Pierre Kotchian est Conseiller municipal délégué à la laïcité et aux relations avec les cultes. Pour la ville de Saint-Laurent du Var, Michel Elbaz est Conseiller municipal en charge des affaires relatives aux relations avec les cultes et à l’aide humanitaire. À Strasbourg, Madame Nadia Zourgui, est en charge de « la tranquillité publique, de la police municipale, de la prévention, médiation, gestion des crises, aide aux victimes, relation avec les cultes ».
Toutefois, si tant est que l’on puisse vouloir ou non trouver une cohérence entre les attributions d’une même délégation, leurs libellés posent tout de même en creux la question du face à face (et de la séparation) entre la neutralité qu’impose la loi de 1905 aux collectivités locales et l’inclusion des religions ou des affaires cultuelles dans les affaires courantes de la collectivité comme leur rédaction le manifeste. Les réponses des élus ayant bien volontiers accepté de nous répondre montrent que cette question n’est pas facile à trancher. Chaque commune et son élu délégué y apporte une réponse particulière. Il ressort ainsi de ces interviews l’idée que si la République est laïque, elle ne se désintéresse pas pour autant des cultes, composantes de la vie sociale et enjeu de la consolidation du vivre-ensemble. Un vivre-ensemble aujourd’hui mis à l’épreuve par les tentations communautaristes et les intégrismes religieux. Mais pour autant, la neutralité des communes et le respect de la laïcité doit-elle y être sacrifiée ? Dans nos entretiens il nous a semblé que la vigilance se soit quelque peu relâchée à cet égard, et notamment sur la gratuité de la mise à disposition des salles aux associations cultuelles ou ayant des pratiques cultuelles, une gratuité qui tendrait à devenir la règle.

À Toulouse, les relations avec les cultes passent par la laïcité

Nommé le 6 juillet dernier Conseiller municipal délégué aux « Relations avec les cultes, Médiateur communal, Relations avec le Défenseur des droits », Jean-Paul Bouche, avocat de profession, fièrement toulousain, vit avec enthousiasme les premiers jours de ce premier mandat et ne chôme pas. Il a déjà du se plonger dans les réflexions sur la cantine scolaire et la décision de la mise en place d’un menu sans viande par la municipalité précédente. Il démarre aussi l’exploration de sa mission de Relations avec le défenseur des droits et se prépare également à créer et faire fonctionner la médiation communale de Toulouse, « une mission qui n’existait pas jusqu’ici dans notre ville » précise-t-il, «  J’attends les instructions du maire qui a souhaité créer ce service pour offrir à tous les habitants et habitantes de Toulouse un espace de dialogue avec la mairie pour résoudre les conflits ». Cette instance viendra s’ajouter au vaste dispositif toulousain très ouvert à la médiation et au dialogue, déjà constitué de « l’Espace de la diversité » et d’une instance consultative typiquement toulousaine « Toulouse Fraternité - Conseil de laïcité ».
D’abord créée sous la forme d’un conseil de laïcité en 2013 par l’ancien maire Pierre Cohen, cette institution voit le jour dans les premiers mois du mandat du maire, Jean Luc Moudenc, nouvellement élu. Instaurée par une délibération du Conseil Municipal du 10 décembre 2014 « Toulouse Fraternité - Conseil de la laïcité  [1] » a désormais pour mission de promouvoir à Toulouse la liberté de conscience, la neutralité des institutions républicaines à l’égard des différents cultes, dans le respect du principe de laïcité. Elle incarne aussi la volonté de la Ville de Toulouse de faire vivre les cultes en harmonie entre eux et avec la société civile par le dialogue avec la municipalité. « Nous faisions face à une réalité qui est que les cultes ont quitté la sphère privée et s’expriment aujourd’hui librement dans la société  » rappelle Jean-Paul Bouche. « Aujourd’hui à Toulouse, le dialogue avec les cultes est bon et Toulouse Fraternité, où ils sont largement représentés, y est pour beaucoup » » assure-t-il, racontant comment ces derniers jours certains imams de Toulouse, inquiets, se sont rendus spontanément dans les mairies de quartier, demander de l’aide pour l’organisation de la fête de l’Aïd : « Nous avons 20 mairies de quartier à Toulouse et moi-même je suis le maire du quartier de Saint Cyprien. Cette année, en raison du Covid-19, beaucoup de fidèles musulmans n’ont pas pu repartir au pays et sont donc restés à Toulouse pour la fête de l’Aïd. Les imams sont venus nous demander de l’aide pour faire face au manque de place pour les prières mais aussi pour le respect des normes sanitaires  ».
Une aide qu’apporte bien volontiers cet élu qui, après des études chez les Frères de écoles chrétiennes et un parcours à l’Université de droit de Toulouse, se définit aujourd’hui comme agnostique et bon connaisseur de la laïcité : « J’ai été le président de l’association Laïcité 2005 à Toulouse qui a organisé à Toulouse la célébration du centenaire de la loi de 1905 avec l’ensemble des associations laïques et des obédiences maçonniques. Je connais très bien la laïcité  ». Mais pour autant si Jean-Paul Bouche « ne se sens pas particulièrement attiré par les religions », il n’est pas indifférent à leur « universalité » indiquant ainsi, à titre personnel, nourrir une très grande tristesse à l’égard des dégâts irréparables causés dans l’incendie de la cathédrale de Nantes et au titre d’élu, une grande solidarité avec tous les nantais.

Poissy l’inter-religieux au cœur de la délégation

Conseiller municipal en charge de du cadre de vie, de l’environnement et des affaires générales dans la précédente mandature, Gilles Djeyaramane débute un second mandat de Conseiller municipal délégué à la citoyenneté, à la francophonie et aux relations avec les cultes. Compagnon de route du maire actuel de Poissy, il se souvient : « Lors de la campagne, en 2014, nous portions l’ambition d’une ville idéale où les cultes auraient leur place et seraient associés à la vie de la cité  ». Une fois élu maire, Karl Olive (LR), donnera corps à cette idée. Mais comme pour beaucoup d’autres élus, ce sera dans les circonstances tragiques des attentats de 2015. Réunions en mairie, invitations régulières aux évènements organisés par la Ville sur les grands thèmes sociaux (fraternité, paix, abolition de l’esclavage), contribueront peu à peu à engager un dialogue avec les cultes et au rapprochement des religions entre elles jusqu’à la création d’une association inter-cultuelle et d’un jardin multiconfessionnel. L’idée de ce jardin est en fait née des liens qui se sont noués après les attentats de 2015 entre les différents cultes de la ville. Lors des cérémonies d’hommage aux victimes organisées sur le parvis de l’hôtel de ville, tous se sont pris spontanément par la main pour se recueillir. Ils se sont retrouvés autour de l’idée de création d’un « lieu de quiétude porteur d’un message de paix ». Le don d’un olivier, arbre de paix par la ville de Pirmasens (Bavière) jumelée avec Poissy depuis 1965, concrétisera le projet et lui confèrera son nom.

Journée internationale de la Paix 2016 : inauguration du Jardin de l’olivier par le maire de Poissy, Karl Olive et Gilles Djeyaramane (2ème à gauche).

Inauguré le mercredi 21 septembre 2016, « Le Jardin de l’olivier », petit espace vert dans le square du Pincerais, 5, rue de la Paix, est désormais emblématique de la concorde des religions à Poissy et le lieu où l’on y célèbre les grandes causes humanitaires. Le Père Pèdro s’y est fait remettre la médaille de la Ville, le Grand Rabbin de France est venu y prononcer la prière de la République, l’abolition de l’esclavage et la Journée internationale de la paix y sont régulièrement honorés par tous les cultes présents ; ce qui fait dire à Gilles Djeyaramane que « c’est un esprit qui souffle sur la ville au travers de cette association  ». Poissy pourrait-elle désormais se passer du jardin de l’Olivier pour honorer les grands sujets sociaux ? Pas sûr, car selon l’élu, aujourd’hui la médiatisation du jardin est très forte dans la ville et elle ne rencontre aucune opposition dans la population, « tout au plus l’indifférence » constate-t-il.
Marié à une protestante et encore marqué par l’hindouisme de ses origines, Gilles Djeyaramane explique qu’il vit sa délégation avec la sensibilité syncrétique, proprement africaine, du religieux (il a vécu de longues années en Côte d’Ivoire), qui selon lui confine aux idées de tolérance et de liberté de conscience de la laïcité. Traiter les demandes de mise à disposition de salles, comme actuellement pour les associations musulmanes de Poissy qui vont fêter l’Aïd, être consulté par l’équipe municipale pour tout ce qui touche au fait religieux, comme les menus de cantine, ou encore sur les activités d’associations qui veulent distribuer des bibles dans l’espace public, toutes ces tâches l’enchantent : « S’il est de ma compétence d’être l’interlocuteur des cultes, et si je n’en oublie pas pour autant mon rôle et ma fonction d’élu et les règles de la laïcité, je les accompagne avec plaisir  » conclut-il.

« Avec l’ordre publique et la pratique de la foi, on marche sur deux jambes »

Fonctionnaire de police et élu précédemment délégué au « vivre ensemble » et à l’insertion professionnelle, Abdelhalim Benzadi accueille avec enthousiasme et conviction sa nouvelle délégation auprès du deuxième Adjoint de la Ville de Compiègne, Eric de Valroger, et la charge de délégué de la sécurité publique et des relations avec les cultes.
En bon policier, connaisseur du terrain, il dresse le portrait d’une ville sans soucis où les cultes cohabitent en harmonie. Comme élu, il s’apprête à partir à leur rencontre. « Mon rôle c’est de prendre le pouls de ces communautés de croyants et d’organiser le dialogue avec les acteurs municipaux  » explique-t-il décrivant sa délégation comme une mission d’écoute des cultes et d’accompagnement de leurs demandes. Fervent militant de la laïcité, Abdelhalim Benzadi, associe fortement l’ordre publique à la liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire et donc à la pratique des religions. Il fustige ainsi toute stigmatisation du religieux et dénonce notamment « la question subliminale de l’islam » qui selon lui, se pose toujours quand on aborde le sujet de la religion. « À Compiègne, comme ailleurs, nous avons beaucoup de personnes croyantes non-pratiquants ; qu’elles soient musulmanes ou d’autres religions, nous ne pouvons pas les dénombrer » s’exclame-t-il pour affirmer sa conception du religieux qui relève avant tout de l’intime. Dans le même ordre idée, et par expérience du terrain, il dénonce aussi l’amalgame souvent fait entre l’apprentissage de l’arabe par les jeunes des quartiers et la pratique communautaire de l’islam : « Apprendre l’arabe pour ces jeunes c’est comme apprendre l’anglais. Ils le font surtout pour pouvoir communiquer avec leur parents et leur famille » s’insurge-t-il. Cette manière de faire la distinction entre les faits et les ressentis qui sied évidemment au policier, permet à l’élu qu’il est aussi, de plaider pour la médiation. S’appuyant sur les difficultés récurrentes que rencontrent beaucoup de municipalité face aux épisodes des « mariages bruyants », Abdelhalim Benzadi indique vouloir marquer l’exercice de sa délégation du sceau de la médiation en identifiant des facilitateurs de vie qui peuvent aider les communautés et dialoguer avec elles pour leur permettre d’être toujours au diapason de la vie locale. Le savoir, la culture et le culinaire, dont le commerce de la viande hallal « que beaucoup de musulmans non-pratiquants et de français fréquentent aussi », souligne-t-il, « sont les couleurs d’une mosaïque riche et apaisée de la société française laïque que nous souhaitons tous  ». « J’en apprécie d’autant l’importance dema délégation  », conclut-il « qu’avec l’ordre publique et la pratique de la foi, on y marche sur deux jambes ».

Levallois-Perret va créer un Conseil interreligieux

À Levallois-Perret, Pierre Chassat, jusqu’ici élu en charge de l’artisanat et de la communication, hérite dans ce second mandat d’Adjoint au Maire, de la délégation à la Sécurité publique, à la Communication et aux Cultes. La « relation avec les cultes » est une nouveauté dans cette commune. Mais pour cet élu, par ailleurs directeur de cabinet du maire d’Aulnay-sous-bois, Bruno Béchiza, qu’elle soit couplée à « la sécurité publique » est évident.
Côté sécurité, la Ville de Levallois, qui a fait de ce sujet une priorité de son action depuis de longues années (police municipale armée, système de video surveillance), s’apprête à poursuivre ses effort avec le renforcement des effectifs de sa police municipale et le doublement de ses brigades d’intervention GSI. Côté cultes, la ville qui entretient également depuis de longues années de bonnes relations avec les trois religions du Livre va concrétiser ce dialogue avec la création d’un « Conseil interreligieux » annonce Pierre Chassat. Cette instance consultative dont le nom n’est pas encore arrêté sera présidée par le maire et permettra une à deux fois par an à la municipalité d’échanger avec les cultes sur les sujets qui intéressent la vie locale. Car dans cette commune parmi les plus denses d’Europe, les cultes sont très actifs et les fidèles nombreux comme l’a montré l’épisode de la mise à disposition par la Ville (avec l’autorisation du Préfet), du stade Didier Drogba afin d’accueillir, dans le respect les règles sanitaires, les centaines de musulmans qui fêtaient l’Aïd-al-Fitr [2] le 12 et 13 mai dernier. « À Levallois, tout le monde avait trouvé cela normal  » indique Pierre Chassat qui souligne que les seules réprobation concernant cette décision sont venus de l’extérieur. Il entend donc continuer à rester cet interlocuteur des ministres du culte, apte à accompagner, « dans le cadre du respect de la laïcité  » précise-t-il, les nombreuses demandes de mises à disposition de salles. Quant aux manifestations, il sera évidemment le mieux placé pour juger de leur faisabilité au regard de la sécurité et de l’ordre public.

[1« Toulouse fraternité – Conseil de la laïcité », est présidé par le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc. L’instance rassemble des représentants institutionnels (Préfecture, Rectorat,...) des personnalités qualifiées (universitaires,...), des représentants des cultes catholiques, juifs, musulmans, protestants, orthodoxes, bouddhistes..., des représentants du mouvement laïque et de la Franc-maçonnerie.

[2Aïd al-Fitr est la fête musulmane marquant la rupture du jeûne du mois de ramadan. Elle est célébrée le premier jour du mois de chawwal. Elle est aussi parfois appelée aïd as-Seghir, « la petite fête », par opposition à l’aïd al-Kebir, « la grande fête ».

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