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  • Publié le 29 juillet 2022

« Pèlerinage pénitentiel » du pape au Canada : la déception était prévisible

De pardon en excuses, le « pèlerinage pénitentiel » du pape a laissé les canadiens et les populations autochtones déçus. Les excuses du Saint-Père, mardi à Edmonton, puis à Québec mercredi et jeudi, ont été jugées insuffisantes par les Premières Nations. Leurs représentants pointent l’absence de plan concret pour rendre justice aux victimes. « La réconciliation, c’est notre responsabilité à nous tous. Mais demander pardon n’est pas la fin de l’affaire ». Ces paroles du premier ministre canadien Justin Trudeau, prononcées jeudi dernier, reflétaient l’état d’esprit des Premières Nations au moment où la visite du pape François touchait à sa fin. « Je crois que si on doit s’excuser […] on ne doit pas lire un texte, cela doit venir du cœur », a de son côté déclaré à Radio-Canada Cristina Katchekesik, une survivante d’un pensionnat.
Le pape a qualifié son voyage de « pèlerinage pénitentiel ». C’est donc dire de ce voyage qu’il ne relève pas du lieu, ni de la destination, mais qu’il est de l’ordre de l’intention, et qu’il relève d’une certaine spiritualité. Il annonce ainsi un à-venir qui cherche à rétablir des enjeux relationnels en reconnaissant des erreurs passées.
Mais quand il se fait excuses, le pardon suffit-il pour qu’il soit pardonné, pardonnable ? N’est-ce pas là toute la différence entre le pardon et l’absolution qui passe par l’aveu de la confession ?-
Dans la religion catholique, la contrition, théorisée par la théologie thomiste, est « une douleur voulue de nos péchés jointe à la résolution de nous confesser et de donner satisfaction [1] ». Celle-ci implique « une double douleur, une douleur de raison qui est la détestation du péché qu’on a commis, et une douleur de sensibilité qui est la conséquence de la première [2] ». Cet acte de contrition est alors à considérer comme le point de départ de toute conversion « pénitentielle, il inaugure une profession de foi en un autre que soi, meilleur que soi. Tout le mouvement de ce « pèlerinage pénitentiel » du pape est dans cet élan.

Mais alors à quoi tient son échec ? Il réside en ce que cette profession de foi qui fait volontairement signe au supra-sensible, à un être suprasensible, n’est pas de l’ordre du terrestre, du monde matériel, de l’histoire et de l’humain, et de l’aveu. Le Pape échappe à cet acte de vérité que l’on peut dire réfléchi et à ce : « voilà ce que j’ai fait, voilà ce qui dans le fond de ma conscience s’est passé, voilà quelles intentions j’avais, voici ce qui, dans le secret de ma vie ou dans le secret de mon coeur, a constitué ma faute ou a constitué mon mérite, etc... ».
Toute manifestation de la vérité sur soi réclame l’autre, les autres, et la communauté ecclésiale doit attester de cette attestation de ce dire vrai-sur-soi sans qu’au fond cette vérité ne soit jugée comme vraie ou fausse, mais d’abord dite. C’est le prix à payer dans la confession. Mais au Canada, le pape n’a rien à avouer. La vérité est là, extérieure, criante, vivante. Il ne peut donc la confesser, il ne peut qu’absoudre des fautes sans pouvoir en vérité s’en attribuer la responsabilité. Donner son pardon.
Mais dans ces circonstances le Pape n’a pas su et pu échapper au mésusage moderne de la notion de Pardon qui fait du pardon, l’excuse, le regret, l’amnistie, la prescription - c’est à dire des notions qui appartiennent pour certaines au droit, voire même au droit pénal, autrement dit à la pratique du pardon, de la demande de pardon, telle qu’elle se déploie depuis la dernière guerre mondiale dans le monde, au niveau des communautés, des États et qui pourtant, quelles que soient les situations, appartient par sa sacralité à un héritage religieux, à un héritage « abrahamique ».
Cette universalisation du langage du pardon, « idiome » du droit comme le désigne Jacques Derrida dans Foi et Savoir, fait proliférer les scènes de repentir, conduit à la théâtralisation du pardon, dans lequel partant d’un « bon » mouvement, le simulacre s’impose, la mémoire aussi. Le pardon dans la société moderne est souvent un acte de mémoire, un retour sur le passé, un acte d’autoaccusation, qui prend les traits « d’une convulsion », notamment quand il s’agit du « crime contre l’humanité » institué à partir des évènements tragiques de la seconde guerre mondiale et de la Shoah. Les actes commis dans les pensionnats catholiques à l’encontre des premières Nation, de leurs enfants, échappent à priori à ce qualificatif et alors, le pardon peut-il vraiment intervenir ici ?
Car au fond, il ne peut y avoir du pardon que si il n’y a de l’impardonnable et c’est sans doute là peut-être le lieu introuvable du pardon, du pur pardon, du pardon inconditionnel. Le pardon pour avoir du sens, il faut qu’il n’en est pas, qu’il soit intelligible, qu’il soit une « folie de l’impossible » qu’il fasse rupture avec le cours de l’histoire et du droit, et devienne ce que l’on appelle le droit de grâce et qui prend sa racine dans le droit divin du souverain... La Miséricorde se présenterait alors comme le pur pardon ; la saisir en tant que telle serait un acte de grâce, un accès possible à la foi. On peut donc imaginer qu’un dirigeant qui exercerait le droit de grâce, un pur pardon, pourrait vivre dans le face à face avec lui-même de la décision du droit de grâce, une conversion à la grâce, être converti à la religio. Dans le cas du Pape cette situation est une évidence et pour les observateurs concernées, les premières Nation son pardon est une tautologie, une auto-absolution sans conséquence. Leur déception était prévisible car ce pardon n’est pas le fruit d’un aveu, ni-même celui d’un engagement, d’une promesse.
Nous, nous nous retrouverons le 29 août.

[1Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, supplément, qu. 1., art 1

[2Ibid., supp. qu 4, art 1, conclusion.

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