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- Publié le 1er avril 2020
- Mise à jour: 3 avril 2020
Aux sources du martinisme
Le martinisme est une tradition initiatique surgie au XVIIIe siècle de la pensée d’un curieux personnage, Joachim Martinès de Pasqually, qui prétendait trouver dans la Kabbale judaïque, la science révélant tout ce qui concerne Dieu et les intelligences créées par lui. Ce sera son disciple, Louis-Claude de Saint-Martin, qui posera les bases du martinisme actuel, un ordre initiatique proposant l’approfondissement progressif d’une connaissance ésotérique issue de la Tradition primordiale, une spiritualité donnant du sens à l’existence.
Une théurgie chrétienne
Lorsque l’on évoque les origines du martinisme, deux personnages surgissent invariablement : Louis-Claude de Saint-Martin et Joachim Martinès de Pasqually. Apparu soudainement vers 1754, Joachim Martinès de Pasqually est une énigme. commence alors une carrière de théurge et de thaumaturge, et impressionne ses confrères dans les sociétés secrètes et initiatiques de son époque. Mais au final on ne sait pas grand chose de ce personnage, probablement Portugais et mort à Saint-Domingue en 1799. Les historiens ne possèdent rien de réellement sûr car sa piste est d’autant plus difficile à suivre qu’il a fait usage au cours de sa vie de plusieurs noms et signatures différents sur les documents officiels comme le révèle René Guénon [1].
Martinès de Pasqually prétendait trouver dans la cabale judaïque, la science révélant tout ce qui concerne Dieu et les intelligences créées par lui. Sa doctrine relevant d’une tendance ésotérique chrétienne entend se rattacher à une Église invisible, indépendante de toute structure terrestre, pour retrouver la voie qui conduit à la connaissance des sources cachées de la nature en prévision de la destruction prochaine de l’Église matérielle. Il s’agit d’obtenir, au cours d’une initiation progressive, une connaissance directe de Dieu, unité primordiale, perdue depuis la faute d’Adam. Dans cette optique de parcours initiatique, le système de la franc-maçonnerie procurera une structure adéquate.
Pour diffuser cette doctrine en France, Martinès de Pasqually qui se dit lui-même héritier d’une longue tradition d’origine suprahumaine et inspiré lui-même, fonde en 1767 l’« Ordre des Chevalier Maçons Élus Coëns de l’Univers ».
Du point de vue théologique, la doctrine de Joachim Martinès de Pasqually tombe sous le coup de la bulle papale In eminenti Apostolatus Specula, émise par le pape Clément XII. Celle-ci se présente elle-même comme la clef de toute cosmogonie eschatologique : Dieu, l’Unité primordiale, donna une volonté propre à des êtres « émanés » de lui, mais Lucifer, ayant voulu exercer lui-même la puissance créatrice, tomba victime de sa faute en entraînant certains esprits dans sa chute ; il se trouva enfermé avec eux dans une matière destinée par Dieu à leur servir de prison. Puis la Divinité envoya l’Homme, androgyne au corps glorieux et doué de pouvoirs immenses, pour garder ces rebelles et travailler à leur résipiscence ; c’est même à cette fin qu’il fut créé. Adam prévariqua à son tour et entraîna la matière dans sa chute ; il s’y trouve maintenant enfermé ; devenu physiquement mortel, il n’a plus qu’à essayer de sauver la matière et lui-même.
Selon Joachim Martinès de Pasqually, l’homme peut y parvenir avec l’aide du Christ, par la perfection intérieure, mais aussi par les opérations théurgiques qu’il va enseigner aux hommes qu’il estime dignes de recevoir son initiation. Fondées sur un rituel minutieux, ces opérations permettent au disciple d’entrer en rapport avec des entités angéliques qui se manifestent dans la chambre théurgique sous forme de « passes » rapides, généralement lumineuses. Ces dernières représentent des caractères ou hiéroglyphes, des signes des esprits invoqués par l’opérant, auquel les manifestations prouvent qu’il se trouve sur la bonne voie de la Réintégration [2].
L’apparition du « philosophe inconnu »
Louis-Claude de Saint-Martin, né en 1743 à Amboise, connut Joachim Martinès de Pasqually à Bordeaux ; Martinez fut son premier maître, Jacques Boehm, le second. Ces deux rencontres décidèrent du sort de sa vie et de sa doctrine. Saint-Martin qui avait d’abord embrassé la profession d’avocat, devint militaire avant de renoncer à la carrière pour voyager en Italie et en Angleterre, et se fixer à Paris, où il demeura jusqu’à la révolution.
- Louis Claude de Saint-Martin
Secrétaire pendant trois ans de l’« Ordre des Chevalier Maçons Élus Coëns de l’Univers », après le décès de son Grand Maître, Joachim Martinès de Pasqually, il rédigea un certain nombre d’ouvrages théosophiques signés « Le philosophe inconnu ». Le premier d’entre-eux fût Des erreurs et de la vérité, ou les hommes rappelés au principe universel de la science. Saint-Martin y approfondit la théorisation de la doctrine de la Réintégration martinésiste. Pour lui, la révolution française, « miniature du Jugement dernier », est un avertissement envoyé par la Providence pour punir la décadence des Trônes et des Autels et retrouver en Dieu la source de toute sagesse politique et sociale. A la fin de sa vie, il approfondit ses recherches sur le plan spirituel, et abandonna les pratiques « sensibles », c’est à dire « des passes ».
Dans un dernier ouvrage, Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l’homme et l’univers, comme dans le premier, il cherche à expliquer, à la manière des philosophes des Lumières, la place de l’homme dans l’univers, son origine, sa destination, ainsi que la place des cultes religieux vus comme tentatives successives pour se réconcilier avec le Principe premier. Il redonne au judaïsme son rôle de source du christianisme tout en tentant de formuler une philosophie transcendantale qui parle à tous les humains en recherche. Du reste, plusieurs de ses ouvrages contiennent le mot « homme », « objet de sa sollicitude ». le « Philosophe Inconnu » est recherché pour ses enseignements, ses lumières. Après sa mort en 1804 à Aulnay-lès-Bondy, ses lecteurs se diversifient et sa pensée commence à être appelée « martinisme ».
[1] René Guénon, L’énigme de Martinès de Pasqually, repris dans Études sur la Franc Maçonnerie et le Compagnonage, Éditions Traditionnelles, Paris.
[2] La Réintégration dans le genre humain est l’approfondissement progressif d’une connaissance ésotérique qui, issue de la Tradition primordiale, ouvre sur une spiritualité donnant du sens à l’existence. Dans la tradition de pensée martiniste, il s’agit de l’éveil et transformation de l’individu, du statut « d’homme/femme de désir » à la condition de l’individu en tant qu’être progressivement libéré d’anciens attachements (dissiper l’éphémère et l’artificiel pour laisser émerger la profondeur de l’Être).
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