Birmanie : divination et occultisme s’invitent dans des élections incertaines

En Birmanie, un pays à la culture profondément influencée par un surnaturel teinté de bouddhisme, la politique n’échappe pas aux croyances ancestrales. L’actuel leader Min Aung Hlaing - qui a pris le pouvoir en 2021 par un coup d’État militaire et pourrait le garder à l’issue des prochaines élections, sous un régime civil - a lui-même la réputation de recourir aux prédictions et de se fier aux superstitions.
Lorsque des manifestations éclatent après le coup d’État de 2021, un jeune astrologue, Linn Nhyo Taryar lance une malédiction contre lui en pratiquant un rituel occulte à l’aide de bougies et de couteaux disposés en étoile et appelle sur les réseaux sociaux d’autres confrères à en faire de même. Arrêté par la junte, il est enfermé deux ans dans la tristement célèbre prison d’Insein à Rangoun. Aujourd’hui, en exil à Bangkok, il communique en ligne avec ses clients birmans, notamment depuis que la junte militaire au pouvoir a annoncé la tenue de législatives à partir du 28 décembre. « Les gens en difficulté se tournent vers la divination et le Yadaya [1] pour y puiser force et croyance », indique Linn Nhyo Taryar à l’AFP, ajoutant « Ce que les gens veulent vraiment, c’est un avenir sûr et serein », « La question que la plupart des gens me posent est claire : quand les choses iront-elles mieux en Birmanie ? ».

Des élections sous influence d’un ésotérisme millénaire

L’armée présente le scrutin à venir comme une tentative de réconciliation dans un pays miné par la guerre civile depuis son coup d’Etat en 2021. Mais les observateurs internationaux y voient une manoeuvre pour légitimer le régime militaire. Dans ce contexte, le verdict des urnes, attendu pour fin janvier, reste incertain et sujet à beaucoup de spéculations. Ainsi, l’horoscope le plus populaire du pays prédit que les personnes nées un mardi sous le signe du lion – comme l’actuel dirigeant Min Aung Hlaing et l’ancienne dirigeante emprisonnée Aung San Suu Kyi - prospèreront dans l’adversité. « Ils devraient être en bonne santé et obtenir des privilèges », indique l’horoscope, qui conseille de déposer du riz au beurre sur un autel dédié au Bouddha.
« Le potentiel de la Birmanie est intéressant pour l’année à venir », affirme de son côté Min Thein Kyaw en s’appuyant sur des cartes d’astrologie gitane. « Mais pour qu’une prédiction réussisse pleinement, trois facteurs doivent s’aligner : le temps, le lieu et l’individu », nuance le septuagénaire face à la « période difficile » que connaît le pays.
À Rangoun, autour des pagodes, les chiromanciens sont nombreux, des apprentis alchimistes tentent de transformer le mercure en or et des compagnies de téléphonie font la publicité de voyants joignables par téléphone. « Ils traitent une multitude de problèmes », constate Thomas Patton, enseignant à l’Union College de l’État de New York et spécialiste du mysticisme birman. « Je pense que (le recours à l’ésotérisme) c’est lié au manque de développement du pays. Il n’y a pas grand-chose d’autre sur quoi s’appuyer » explique-t-il en précisant « Vous avez d’un côté tout un paysage d’incertitude et de vulnérabilité, et de l’autre cette combinaison millénaire de sorts, de remèdes et de savoir occulte, qui s’est infiltrée dans la conscience birmane ».