«On ne fait pas d’élection avec des prières »Proverbe québécois

 

Islam libéral

Colloque inaugural de la Mosquée Fatima : découvrir et vivre un autre visage de l’islam

L’emballement médiatique pour Kahina Bahloul présentée comme « la première femme imame » en France ne faiblit pas. La curiosité des musulmans pour son projet de mosquée libérale non plus. Il étaient venus nombreux ce 21 septembre assister dans l’église luthérienne Saint-Jean au colloque inaugural de la mosquée Fatima intitulé « Islam : pour une théologie à la lumière des sciences humaines et sociales », démontrant ainsi qu’en France, l’engouement pour ce projet est réel et positif. Beaucoup de questions sur le projet de la Mosquée Fatima ont nourri le débat sur l’islam au féminin, sur un islam vu par les femmes et les hommes. Nous en livrons quelques extraits.

21 septembre 2019, 14 heures, dans l’église de la paroisse luthérienne de Saint-Jean, au 147 de la rue de grenelle on s’agite, on s’impatiente, on s’inquiète. En cette journée de manifestations sociales, les inscrits à la première conférence publique de la mosquée Fatima se font attendre. Petit à petit les bancs de l’église luthérienne du Pasteur Jean-François Breyne, se garnissent. Une centaine de personnes, dont une bonne majorité de femmes, quelques unes voilées, ont répondu à l’invitation de Kahina Bahloul et de Faker Korchane.

Kahina Bahloul et Faker Korchan, les deux imams de la Mosquée Fatima

La plupart des participant(e)s sont venus par le biais des réseaux sociaux. Croyant(e)s ou en recherche, tous sont séduits par la personnalité de Kahina Bahloul présentée dans les médias comme « la première femme imame » en France, et ils veulent en savoir plus sur son projet de mosquée pratiquant un « islam libéral ». Les deux tables rondes du colloque inaugural ont proposé de le définir en expliquant dans un premier temps ce qu’est le réformisme en islam pour ensuite, dans un second temps, dégager la forme anthropologique de cet islam libéral qu’entend représenter et pratiquer la mosquée Fatima.
Dès l’introduction de la conférence, Faker Korchane, professeur de philosophie, théologien spécialiste du mu’tazilisme, l’imam masculin de la mosquée Fatima, résume la notion d’islam libéral dans une nécessité ; celle d’un islam qui doit « s’émanciper d’un contexte médiéval et de son approche assez simpliste par rapport à l’évolution culturelle et sociale, un islam qui prenne en considération notre temps et réponde à l’injonction de l’esprit du temps et non plus à l’injonction de l’institution ». Autrement dit : un islam qui doit se réformer.

Le réformisme en islam n’est pas une nouvelle mode

Le réformisme en islam n’est pas une nouvelle mode. C’est un fait historique, récent certes, mais conséquent. C’est ce qu’a exposé Steven Duarte premier intervenant de la table ronde « Les grands principes de la pensée réformiste en Islam ». Cet agrégé d’arabe, non musulman, maître de conférences à l’Université Paris 13 et spécialiste du réformisme religieux en islam contemporain a donné au public quelques repères historiques. Au début du XIXe siècle, le mouvement réformiste a mené des actions pour l’abolition de l’esclavage en Tunisie (1846), conduit la critique du despotisme national et local du déclin de l’empire ottoman à l’aube du XXe siècle. Toujours en Tunisie (en 1930), les réformistes se sont aussi penchés sur la condition de la femme en critiquant le Talâq, la répudiation des femmes mais aussi l’égalité dans l’héritage. « Tout cela a été accompli non pas par une injonction extérieure mais par la relecture des textes en langue arabe  », précise-t-il, ajoutant : « réformer une tradition du XIVe siècle nécessite de passer par le texte en langue arabe, le langage de la tradition ». Mais dans le même temps il concède volontiers que traduire en français les œuvres des grands penseurs réformistes est très utile.

La question de la langue dans l’accès à la religion

Son intervention n’a pas manqué de faire émerger la question récurrente de la langue dans l’islam. Elle se pose d’autant plus aux musulmans qui s’intéressent à cet islam libéral auréolé de modernisme. Le Coran en langue arabe étant la parole de Dieu, un participant a fait part de sa crainte de l’abandon de celle-ci, y voyant un effondrement de la foi du musulman. D’autres ont au contraire revendiqué la possibilité de pratiquer et prier en français. Steven Duarte leur a répondu que dans une démarche académique, la langue arabe était la seule voie pour poursuivre la recherche et l’exégèse du texte coranique. Quant à l’usage de la langue française, il considère que c’est aux musulmans de décider dans leur mosquée, faisant état du parallèle qu’il a observé entre le réformisme dans l’islam et le judaïsme libéral où certaines synagogues prient en français quand d’autres officient en hébreu.
Se servir du français, n’est pas propre à l’idée d’un islam libéral «  les mouvements conservateurs le font aussi » a-t-il rappelé, soulignant également que la langue française pouvait aussi être vecteur de simplisme et de propagande donnant pour exemple la propagande des salafistes et jihadistes.

Déculpabiliser les consciences

« Il faut déculpabiliser les consciences et notamment celles des chercheurs, sortir de l’approche confessante pour aller à l’approche anthropologique et du fait religieux et en finir avec le merveilleux, la pensée magique, s’affranchir des enfermements doctrinaux » telle est l’incantation ou le leimotiv de Ghaleb Bencheikh en introduction de son intervention sur le statut du texte coranique dans la pensée de Mohamed Arkoun [1], un auteur qu’il affectionne. L’islamologue et Président de la Fondation pour l4islam de France s’est proposé de commenter son triptyque « transgresser, déplacer, dépasser » qu’il voit comme un mot d’ordre pour l’islam libéral et pour ses pratiquants.
Transgresser les tabous, c’est pour lui sortir d’une pensée religieuse «  où le sacré est devenu obèse, où l’on ne peut plus rien faire et plus rien dire. Il n’est plus construction humaine ».
Déplacer c’est le déplacement « qui fait appel à toute la palette des sciences humaines, qui doit concourir à déplacer la recherche et les études vers d’autres horizons cognitifs, porteurs de sens et d’espérance, d’autres espaces d’intelligibilité du monde et de la personne, d’autres espaces de la reconfiguration du croire ».
Le dépassement, selon les mots de Mohamed Arkoun, c’est dépasser la « raison raisonnante » par une « raison émergente  » qui doit prendre en charge les problèmes de notre époque (l’intelligence artificielle, le transhumanisme, le génie génétique) renouveler le débat classique entre foi et raison.
« Je pense » conclut-il après avoir été interrogé par l’assistance sur l’orientation du projet de Kahina Bahloul « que la Réforme conduite par la mosquée Fatima est dans la lignée d’un nouveau Mu’tazilisme [2] ».

Coran, sunna, ordonner les sources de la foi

Dans l’islam on enseigne que la première source de foi (littérale) est le Coran, et la seconde (conjecturale), la sunna, c’est à dire tous les enseignements liés au Coran qui englobent les hadiths. Faker Korchane explique qu’aujourd’hui dans les mosquées cet ordre a été inversé. Tout le discours et la pratique quotidienne font de la sunna (la tradition) la référence première et lui donne un poids considérable dans le quotidien des musulmans.
Il rappelle également qu’à partir du XIXe siècle les réformismes, à force d’y voir des contradictions historiques et logiques ont remis en question le poids de la sunna. La science des hadiths qui examine les chaines de transmissions en remontant depuis les transmetteurs jusqu’à l’auteur, c’est à dire jusqu’au Prophète, a révélé la fragilité de cette chaine : plus de 40 % des transmetteurs sont d’illustres inconnus. C’est la raison pour laquelle le courant des « coranistes » a écarté tous les hadiths. Les Mu’tazilites, eux, ont étudié deux critères pour les sélectionner : le principe de non-contradiction avec le Coran et le principe de non-contradiction avec la raison. Dans la mosquée de Fatima indique Faker Korchane « si le premier critère est le Coran nous ne rejetons pas les hadiths ». Ils seront sélectionnés sous les critères de la non contradiction chère au Mu’tazilisme.

L’approche réformiste en pratique

Le thème du statut de la femme s’est imposé dans la seconde table ronde consacrée à l’anthropologique de l’islam libéral et aux pratiques de la mosquée Fatima.
C’est Fouzia Oukazi, diplômée de l’Institut d’Études Politiques d’Alger, spécialisée en histoire moderne, en sciences des religions et du statut de la femme en islam qui a ouvert le sujet en faisant un retour sur l’année 1979, (année de ruptures en Islam avec la Révolution islamique en Iran, la guerre en Afghanistan, la tentative de prise de contrôle de La Mecque).« Depuis, lorsque l’on parle de l’islam » dit-elle « on le rétrécit, on le racornit, on le limite à ce qui est licite et illicite. Et la femme est devenue un objet de consommation qui est licite et illicite ». Mais ce sont les textes médinois qui en premier ont donné un statut inférieur à la femme (part d’héritage de moitié de celle de l’homme, droit à quatre co-épouses pour celui-ci). En 1979, avec le foulard, ce sont les interdictions de montrer les mains, les pieds nus qui sont apparues. Pourtant insiste-t-elle, « l’égalité ontologique de la femme et de l’homme est inscrite dans le Coran, sourate 33. Les femmes ont aujourd’hui l’éducation et la possibilité d’avoir accès au texte coranique. Elle peuvent se rendre compte par elles-même qu’il ne comporte aucune de ces obligations », assène-t-elle en remerciant « la providence » de vivre en France et de pouvoir vivre ce genre de colloque, ajoutant que « La chance en France, c’est ce que l’on ne m’oblige à rien en tant que femme ».

Des propos dont s’est saisi Omero Marongiu-Perria, docteur en sociologie, spécialiste de l’islam français. Appelé pour répondre à la question « Qu’est-ce que l’Islam libéral ? », il confirme aux participants que la mosquée Fatima est une mosquée libérale au sens de l’égalité entre homme et femme et de la liberté. Une mosquée qui essaye de proposer un cadre structurant aux musulmans autour des pratiques cultuelles établies. Mais, affirme-t-il, « à la différence des autres mosquées, ici il n’y a pas de discours culpabilisant, on ne fait pas de morale. Et de même que l’on ne dévoie aucune pratique, nous n’obligeons pas les musulmans à venir faire la prière quand Kahina la dirige », conclut-il en soulignant que Faker Korchane et Kahina Bahloul, les deux imams de la mosquée Fatima, sont avant tout des théologiens et qu’ils doivent être reconnus comme tels.
C’est à ce titre, semble-t-il, que beaucoup de femmes des pays du Maghreb qui soutiennent le projet, écrivent à Kahina Bahloul, notamment pour la questionner sur le foulard. Elle répond invariablement à tous « Je ne porte pas le voile par conviction personnelle. Après avoir étudié le texte coranique, je considère qu’il ne m’oblige pas à porter le voile – mais je ne n’oppose pas mon avis aux autres femmes qui veulent porter le foulard et qui en ont une autre lecture ». Elle répète aussi très souvent qu’un des fondement de la mosquée Fatima est la liberté de conscience et la liberté individuelle de chacun de pouvoir pratiquer la religion comme il l’entend : « Chacun a sa propre vie et son propre chemin et c’est important de tenir compte de celui de chacun » assure-t-elle.

L’aspiration à l’islam spirituel

Le colloque inaugural de la Mosquée Fatima touchant à sa fin, dans sa conclusion Kahina Bahloul a espéré qu’il puisse « asseoir l’approche académique dans le champs cultuel et réhabiliter le processus de jugement critique et personnel de chacun et la responsabilité individuelle de chaque croyant », en d’autres termes elle a encouragé les participants à un retour à l’étude du texte et à ne pas considérer que tout va de soi : « La certitude religieuse dans l’approche confessante se tempère du doute de la recherche académique, le questionnement est perpétuel. Nous avons perdu la tradition de l’enseignement, de la recherche individuelle de la connaissance et du savoir et de l’étude, c’est un des projets de la Mosquée Fatima de remettre l’étude au centre de la pratique religieuse et de notre conception du religieux » déclare-t-elle.
Mais à la raison et à la recherche elle a tenu à ajouter une autre dimension : « je voudrais introduire dans notre projet la dimension spirituelle à laquelle je tiens vraiment car il est urgent et nécessaire de remettre de la spiritualité dans l’islam – de la remettre au cœur de l’islam. Moi qui étudie Ibn’Arabi, je peux témoigner que la tradition de l’islam renferme des trésors de spiritualité » conclut-elle.
Ces derniers propos de Kahina Bahloul ne laissent de part et d’autre des bancs de l’église aucun doute sur l’envie de voir un autre visage de l’islam, de voir s’incarner un islam qui puisse relever les défis d’aujourd’hui et apporter aux musulmans de France de quoi nourrir leur quête spirituelle, donner un sens à leur vie quotidienne.
En gage de souhait pour la réussite de ce projet si particulier, si audacieux, si porteur de paix sociale, si français finalement, il ne restait plus qu’à citer Ibn’Arabi « Un lieu qui n’est pas empreint de féminité n’est pas fiable. »

Photo de couverture : première table ronde du colloque inaugural de la mosquée Fatima dans l’église luthérienne Saint-Jean à Paris - de gauche à droite : Faker Korchane, Hafida Faes Iskrane (modératrice), Steven Duarte, Ghaleb Bencheikh.

[1Mohamed Arkoun (1928-2010) est un intellectuel algérien qui s’inscrit dans la tradition des « Lumières » françaises. Historien, islamologue et philosophe, écrivain prolixe, il est notamment l’auteur de Humanisme en Islam

[2Le mutazilisme désigne une des premières écoles de théologie islamique qui est apparue dès le VIIIe siècle de l’ère chrétienne. Le but était alors d’allier la raison à la foi, c’est-à-dire d’aborder la Révélation à la lumière de la réflexion (fikr) et du discernement (furqân). Les premiers mutazilites s’opposaient au fait de vivre leur foi uniquement par le biais d’une imitation irréfléchie (taqlîd) de pratiques et de dogmes établis à partir d’une approche littéraliste des textes et de l’interprétation des Anciens (dits « pieux prédécesseurs » ou salaf). Source : http://mutazilisme.fr

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