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Le sénat s’inquiète du devenir du patrimoine religieux de nos campagnes

Sollicitée par de nombreux maires désemparés face à la dégradation de leur patrimoine religieux, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a confié à Anne Ventalon et Pierre Ouzoulias, une mission de contrôle visant à éclairer l’État sur la situation du patrimoine religieux français, sur les menaces qui pèsent sur sa préservation et sur les moyens à apporter aux maires afin de contribuer à sa sauvegarde. Le bilan de situation et les recommandations présentés jeudi matin explorent de nombreuses pistes visant à permettre sa réappropriation collective.

Dans le contexte d’une sécularisation croissante de la société française et de son urbanisation, les milliers d’églises de nos communes rurales se trouvent de plus en plus souvent bien seules au milieu des villages. Seules à sonner le temps qui passe et les dégrade, faute de visites et d’entretien. Alertée par de nombreux maires qui en application de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État ont la charge d’entretenir les plus de 40 000 édifices propriété des communes, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat présidée par le sénateur Laurent Lafon (Val de Marne, Union Centriste), a confié à Anne Ventalon (Ardèche, App. LR) et Pierre Ouzoulias (Hauts-de-Seine, CRCE) une mission de contrôle visant à faire la lumière sur l’état du patrimoine religieux et les menaces qui pèsent sur sa préservation, sur les moyens existants et sur ceux à qui pourront à l’avenir contribuer à sa sauvegarde. La problématique de ce sauvetage a été réduite à trois questions : Comment mieux protéger ce patrimoine ? Comment accompagner les maires face à cet enjeu ? Comment redonner vie à ces édifices pour éviter leur dégradation ? Autant de questions sur lesquelles les rapporteurs formulent un constat et une série de recommandations.

70 000 édifices religieux en majorité ruraux

Comme le soulignent les rapporteurs, le patrimoine religieux français qui comptabilise quelques 70 000 édifices, dont une majorité en zone rurale, représente une part significative du patrimoine culturel de la France. Un patrimoine mobilier et immobilier de plus de 40 000 édifices en fonction, qui en application de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État, souligne le sénateur Pierre Ouzoulias, est la propriété des communes, auxquelles incombe son entretien. Comme dans de nombreux pays occidentaux, en Italie notamment, ce patrimoine religieux dont certains édifices datent parfois de l’antiquité tardive apparait aujourd’hui fragilisé par différents phénomènes (exode rural, évolution de la pratique religieuse, sécularisation de la société, politiques de regroupement de communes, contraintes financières) ou est tout simplement méconnu et non répertorié. En France le monde des campagnes a longtemps été le parent pauvre de l’archéologie (notamment des premiers temps chrétiens) davantage tournée vers les monuments spectaculaires de la ville comme par exemple la Collégiale Saint-Agricol d’Avignon bâtie au VIIe siècle.

La Collégiale Saint-Agricol d’Avignon est une ancienne collégiale bâtie au VIIe siècle par saint Agricol.

C’est ensuite dans la genèse médiévale (carolingienne) des pouvoirs locaux sur la terre et les hommes et la constitution d’identités locales que des actes paraliturgiques passés à l’autel (don et échange de biens, serment, renouvellement de chartes perdues, affranchissement, testament), donnent aux églises un rôle dans les pratiques sociales et multiplient le nombre de nouvelles petites églises au sein des terroirs agricoles tout au long du IXe siècle, notamment. Églises patrimoniales pour la plupart, elles marquent le développement d’un clergé rural hétérogène, témoigné aujourd’hui par leur présence bien répartie sur l’ensemble du territoire. Un processus et une présence qui fait du patrimoine religieux une composante essentielle du patrimoine de proximité met en avant le rapport sénatorial en insistant à juste tire sur la valeur de ces édifices qui n’est « pas seulement spirituelle, mais aussi historique, culturelle, artistique et architecturale » et qui « structurent les paysages (...) définissent l’identité des territoires (…) sont des vecteurs de transmission de la mémoire locale comme nationale (…) contribuent à la qualité du cadre de vie ».

Un patrimoine globalement en bon état mais de plus en plus menacé

Faute d’inventaire complet du patrimoine religieux, le dernier date de 1985, il est difficile de dresser un bilan précis de son état avertissent les rapporteurs qui indiquent que des auditions réalisées il ressort que le patrimoine religieux ne serait pas en si mauvais état, même s’il souffre, comme les autres types de patrimoine, d’un déficit d’entretien ou d’un entretien trop irrégulier.
Ce bon état de conservation serait du à la loi de 1905 qui a contribué jusqu’ici à la préservation de ce patrimoine en confiant la propriété d’une grande partie des édifices aux communes, constate le sénateur Pierre Ouzoulias, même comme les conclusions du rapport le relèvent, des disparités existent entre les édifices protégés au titre des monuments historiques qui sont en meilleur état que ceux qui ne le sont pas, entre les édifices ruraux plus dégradés qu’en milieu urbain, entre le clos et le couvert globalement entretenus et des parties intérieures davantage négligées, notamment en raison d’un manque de fréquentation du à leur fermeture au public. Le rapport recense ainsi 500 édifices aujourd’hui fermés et dans lesquels le culte n’est plus célébré et de 2500 à 5000 menacés d’être abandonnés, vendus ou détruits d’ici 2030 d’après l’Observatoire du patrimoine religieux qui été la première des organisation par la mission. Les rapporteurs identifient trois causes principales à ces menaces susceptibles d’affecter particulièrement les édifices non protégés situés dans les zones rurales : la sécularisation croissante de la société, conjuguée à la désertification de certaines zones géographiques ; les regroupements paroissiaux, la progression des fusions de communes et le développement des intercommunalités ; les contraintes budgétaires accrues des communes. Des menaces qui « constituent un défi sociétal pour les territoires ruraux, qui justifie de s’en saisir sans tarder » avertissent les deux rapporteurs qui émettent en conclusion de leur travail une série de recommandations.

Recenser et agir

Cette mission d’information, comme l’a précisé en introduction le président de la Commission culture et patrimoine du Sénat a un double objectif : celui d’apporter aux maires, souvent démunis face à cet enjeu, des outils pour mieux gérer cet héritage, mais aussi, de manière plus générale, celui de faire des propositions pour mieux identifier, protéger, valoriser et faire vivre ce patrimoine et permettre sa réappropriation collective.
Face au risque d’abandon d’une partie des édifices non protégés hors des grandes villes constitue un vrai défi sociétal, notamment pour les territoires ruraux, les rapporteurs ont tout d’abord souhaité qu’un état des lieux quantitatif et surtout qualitatif (niveau de dégradation) puisse être mené d’ici 2030. Le dernier bilan du patrimoine religieux, réalisé en 1985 sous l’égide du ministère de la culture, ne constitue plus une base suffisante :seulement 38 000 édifices appartenant aux communes y sont recensés et sans actualisation régulière il est aujourd’hui impossible d’évaluer correctement les dégradations subies. Avoir une démarche scientifique pour « garantir une photographie complète de ce patrimoine et en tirer des conclusions pertinentes pour l’adaptation éventuelle des politiques publiques » plaident les rapporteurs.
Dans la même idée ils suggèrent de doter les conservateurs des antiquités et objets d’art d’une base de données interopérable avec celle des services de l’inventaire en régions et celle de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels permettant une documentation, y compris visuelle, de l’ensemble du patrimoine mobilier religieux protégé qui comptabilise de véritables trésors d’art.
Ces deux premières mesures permettraient alors d’adopter un plan national en faveur de la préservation du patrimoine religieux en péril permettant d’empêcher la disparition totale de certains types d’édifices aujourd’hui particulièrement menacés tels ceux du XIXe siècle (30 % des églises), particulièrement en danger compte tenu du faible intérêt actuellement prêté aux architectures néo-gothique et néo-médiévale et de la vaste taille des édifices qui, de ce fait, sont moins adaptés aux besoins actuels mais également des synagogues d’Alsace, menacées de disparaître faute de protection.
Côté moyens, la mission encourage les maires à recourir aux conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) départementaux afin de faire évaluer l’état du patrimoine religieux de leur commune et d’identifier les solutions possibles pour chaque édifice. La mission cite en exemple l’expérience conduite par le CAUE de Meurthe-et-Moselle pour la communauté de communes Mad-et-Moselle pour montrer que les CAUE sont en capacité d’établir ou de gérer des états des lieux du patrimoine religieux. Mais dans le même temps les deux sénateurs signalent que sept départements (Alpes-de-Haute-Provence, Ardennes, Aube, Ille-et-Vilaine, Loire, Marne, Territoire de Belfort) ne disposent toujours pas de CAUE malgré les obligations fixées par la loi du 3 janvier 1977. Dans leur rapport ils font de leur mise en place une priorité en rapportant que « de l’avis de tous, les départements apparaissent, a priori, comme l’échelon le plus pertinent pour organiser de telles mutualisations » prenant pour exemple le dispositif mis en place depuis 2018 par le département des Yvelines sur le modèle du programme hollandais et belge flamand d’entretien des monuments (Monumentenwacht), qui permet d’apporter au communes de moins de 25 000 habitants un soutien préventif à la sauvegarde des édifices religieux. « Un exemple qui devrait être transposé à tous les départements » a souhaité la sénatrice Anne Ventalon.

Encourager la réappropriation et la resocialisation des édifices cultuels

« L’ouverture du patrimoine religieux est une condition de sa préservation, tous les architectes consultés sont unanimes à ce sujet » ont déclaré les deux rapporteurs. L’ouverture de ces lieux au public garantit un contrôle régulier de leur état et préserve leur état intérieur par une ventilation naturelle et régulière. C’est comme une maison. Mais garantir l’ouverture du patrimoine religieux soulève bien des problèmes de sureté et de sécurité des lieux souligne le rapport. Parmi les pistes évoquées, les deux rapporteurs ont appelé les communes à solliciter les aides financières du ministères de l’intérieur tant pour sécuriser les accès que pour protéger et mettre en valeur le mobilier. Ils ont aussi indiqué la possibilité de recourir au gardiennage ou à des bénévoles, notamment parmi les jeunes, insistent-ils. Et de citer une expérience menée dans la Meuse avec le projet des « jeunes ambassadeurs du patrimoine » qui répond à une double problématique : celle de l’insuffisante ouverture des églises à la visite et celle du manque de sensibilisation des jeunes à leur patrimoine religieux.
Développer des parcours de visites touristiques autour du patrimoine religieux à l’échelle des territoires fait aussi partie des pistes évoquées par les deux sénateurs, Anne Ventalon citant l’exemple de l’effort mené par la Région Rhône-Alpes sur la mise en valeur dece patrimoine. Reste le point le plus délicat mais tout aussi prometteur du partage des usages des églises et de leur utilisation « profane » ou « civil ». Qui n’a pas déjà été assister à un concert dans une église. Mais les sénateurs vont plus loin avec l’idée de mieux ancrer les édifices cultuels dans le calendrier des activités de la commune et les transformer en « maisons communes ». Cela n’est pas contradictoire avec la vocation cultuelle des édifices ; il s’agit plutôt d’un retour aux sources : jusqu’à la Révolution française, les activités cultuelles et les activités humaines cohabitaient au sein des églises, peut on lire dans le rapport. Cela rejoint le processus d’essaimage des églises rurales au IXe siècle que nous avons décrit plus haut. Reste qu’aujourd’hui, loi de 1905 oblige, le développement d’activités non cultuelles nécessite un accord du maire et de l’affectataire autour d’activités « compatibles avec l’affectation cultuelle ». Afin de réduire les tensions éventuelles entre ces deux autorités, les deux rapporteurs ont considéré qu’il serait utile que soient élaborées des conventions-types afin de clarifier leurs relations et de dresser la liste des activités compatibles. La sénatrice Anne Ventalon ayant évoqué l’utilisation d’églises comme salle de révision d’examen, les solutions existent déjà et à l’avenir les initiatives ne manqueront surement pas pour garantir la transmission de ce patrimoine aux générations futures.

Illustration : L’église de Mazille située dans le Clunisois, en Saône-et-Loire (Photo J.G. et J.B pour le site voyage.topexpos)

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