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  • Publié le 21 septembre 2018

Dernier rebondissement dans l’affaire « Baby-Loup » : que faire de l’observation du Comité des Droits de l’Homme de l’ONU ?

Le 24 août dernier, le Comité des droits de l’homme de l’ONU saisi en 2015 par une salariée de la crèche Baby-Loup qui contestait son licenciement et avait été déboutée en cassation, a adressé une observation à la France stipulant qu’en l’espèce, elle avait violé la liberté de l’intéressée à manifester sa religion, discriminé « les femmes musulmanes » et devrait donc indemniser la salariée licenciée. Le Comité exige également que la France rende publique ses observations et lui demande de lui communiquer dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises pour leur donner effet... La France est-elle obligée de déférer aux injonctions du Comité des droits de l’homme de l’ONU ? Cette observation aura-t-elle des conséquences sur la jurisprudence française et Européenne ?

Petit retour aux faits 

En 2008, Fatima Atif est licenciée pour faute grave de la crèche Baby-Loup de Chanteloup-les-Vignes en raison du port d’un foulard en contradiction avec le règlement intérieur. En 2014, après six ans d’une procédure mouvementée, l’assemblée plénière de la Cour de Cassation de Paris valide en deux arrêts le licenciement de la directrice adjointe de la crèche.

La salariée qui aurait pu se tourner vers la Cour Européenne des Droits de l’Homme à choisi le Comité des droits de l’homme de l’ONU (qu’il ne faut pas confondre avec le « Conseil des droits de l’homme de l’ONU » que l’Arabie saoudite présida). Ce comité créé dans les années 70 comprend 18 personnalités de 18 États différents. Il est chargé par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, de veiller au respect par les Etats signataires du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Dans le cas de Madame Afif, l’observation du Comité soutient que son licenciement aurait violé les articles 18 et 26 dudit Pacte.

L’article 18 proclame la « liberté de pensée, de conscience et de religion », tout en prévoyant des restrictions à la « liberté de manifester sa religion ou ses convictions », et ce dans les mêmes termes que l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme comme l’écrit Charles Arambourou dans un article paru le 30 août sur le site de l’Union des FAmilles Laïques (UFAL). Il rappelle d’ailleurs que de telles dispositions avaient permis à la CEDH de reconnaître l’incompatibilité du port du foulard, signe religieux fort, avec l’éducation de jeunes enfants dans une crèche.

Quant à l’article 26, il établit l’égalité devant la loi en interdisant toute discrimination. Charles Arambourou estime là encore que l’avis du Comité semble prétendre que Mme Afif ait été licenciée sans indemnité de rupture parce qu’elle portait un foulard, ceci lui permettant de soutenir que le licenciement n’avait pas de but légitime et n’était pas proportionné à ce but donc qu’il ne reposait pas sur « un critère raisonnable et objectif » et de fait « constituait donc une discrimination inter-sectionnelle basée sur le genre et la religion », en écartant de l’emploi une « femme musulmane ». Il faut cependant se rappeler que l’intéressée avait travaillé des années dans la crèche sans voile.

Par ailleurs, l’article 2.3 du Pacte engage les États signataires à trois garanties.

  • Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ;
  • Garantir que l’autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l’État, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et développer les possibilités de recours juridictionnel ; En l’occurence en France tous les recours ont été utilisé puisque la dernière instance saisie a été la Cour de Cassation.
  • Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu justifié.

C’est au travers des garanties énoncées dans l’article 2.3 du Pacte mais aussi de son article 5 stipulant que « quand il est saisi, le Comité fait part de ses constatations à l’État et au particulier » que le Comité exige que la France rende publique ses « constatations », et lui communique « dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises pour leur donner effet.

Une observation à laquelle la France devra répondre

Interrogé sur cette injonction, Nicolas Cadène, Rapporteur général de l’Observatoire de la Laïcité rappelle que cette observation est adressée à la France car cette dernière est un des États signataires du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et qu’en 1984, elle a signé un additif qui donne compétence au Comité « à recevoir et examiner des communications émanant de particuliers prétendant être les victimes d’une violation de l’un des droits énoncés dans le Pacte, par un État partie ». Aussi, déclare-t-il que «  compte tenu de ces engagements, la France a accepté les observations du Comité. Elle doit y répondre mais comme elle l’entend. Et il ne s’agit pas d’une condamnation mais stricto-sensu d’une observation ».
Une observation certes, mais assorti d’une injonction à répondre sous180 jours. Dans le régime de séparation des pouvoirs qui existe en France, la justice française ne se trouve en aucune façon tenue de répondre à cette observation. Alors qui va répondre ? La question reste posée à cette heure.

Une observation qui sera à l’avenir prise en compte

Il est certain que l’observation émanant du Comité des droits de l’homme de l’ONU ne peut plus avoir aucun effet sur la procédure qui est close, mais pourrait-il à l’avenir faire en quelque sorte jurisprudence ? À entendre Bertrand Louvel, le Premier président de la cour de cassation C’est possible. En septembre lors de son discours d’installation, il a déclaré que même si cette observation n’était pas contraignante du fait de son existence, elle allait peser à l’avenir dans la jurisprudence française et européenne et donc qu’il fallait en tenir compte. Un propos que Nicolas Cadène étaye en rappelant que la cour de cassation avait rendu deux arrêts dans l’affaire ; dans le premier elle avait elle-même estimé que les critères invoqués étaient insuffisants pour ensuite les confirmer dans le second. Et selon lui, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a visé le premier arrêt pour produire son observation.

On pourrait alors objecter à l’idée qui soutient que l’observation du Comité des droits de l’homme de l’ONU puisse faire jurisprudence aujourd’hui, que cette observation s’appuie sur des faits de 2014. Depuis, la procédure Baby-Loup a elle-même créé sa jurisprudence qui a donné lieu à plusieurs propositions législatives et conduit les parlementaires à inscrire dans le Code du Travail, par la loi du 8 août 2016, la possibilité pour les entreprises privées d’instaurer des clauses de neutralité dans leurs règlements intérieurs, limitant l’expression des convictions personnelles des salariés. Des clauses de neutralité qui « imposent des restrictions du fait religieux mais qui doivent être justifiées » tient à souligner Nicolas Cadène, et qui est pour lui l’occasion de rappeler utilement que l’Observatoire de la Laïcité a édité un Guide de la gestion du fait religieux dans l’entreprise privée qui décrit les 6 critères qui permettent en toute légalité et en toute sûreté la restriction du fait religieux en entreprise. Un guide accessible et librement téléchargeable sur le site www.laicite.gouv.fr.

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