Dieu et les hommes

Non, je ne vais pas faire ici la recension de l’ouvrage Dieu et les hommes co-écrit en 2007 par l’Abbé Pierre et Bernard Kouchner. L’actualité de notre monde y suffit. Le syntagme « Dieu et les hommes » s’y déploie plus que jamais comme une vérité indubitable mais dont la quête intime, quand elle s’extériorise, mène plutôt au pire qu’au meilleur.
Quels auteurs pouvaient mieux en témoigner à l’époque et le pourraient encore maintenant que ces deux hommes. L’un et l’autre sont des révolutionnaires de la charité et de l’aide humanitaire. L’un est prêtre de Dieu quand l’autre l’a cherché dans toutes les horreurs et trahisons du monde et ne l’a pas trouvé. Ils ont co-écrit cet ouvrage dans lequel ils nous disent combien il est urgent de sortir de nos maisons, de nos égoïsmes, de nous réveiller, de nous lever et de tendre la main. « A qui appartient la souffrance des hommes ? », s’interrogent-ils alors. « Ni à leurs bourreaux, ni à leurs gouvernements. Elle appartient aux autres hommes. » répondent-ils dans ce livre.
Dans un monde en guerre, au bord d’une guerre mondiale, la souffrance des hommes appartient bien aux autres hommes, mais ce sont des bourreaux et des gouvernements qui en ont la propriété aujourd’hui et en font usage, au nom de Dieu, pour beaucoup d’entre eux.
Le monde a bien changé depuis 2007.
L’islamisme du groupe Daech ou État islamique (EI), proclamant un « califat », en Irak et en Syrie a connu un essor fulgurant en 2014. Il a commis et revendiqué, au nom de Dieu, de nombreux attentats dans le monde, y compris dans le monde musulman. En Europe, on ne peut oublier ceux de janvier et de novembre 2015 à Paris, et du 14 juillet à Nice. Depuis, L’État islamique a subi une série de revers jusqu’à perdre tout territoire en Irak et en Syrie. Il a également perdu son chef Abou Bakr al-Baghdadi lors d’une opération américaine le 27 octobre 2019. Il a depuis annoncé la désignation d’Abou Ibrahim al-Hachemi al-Qourachi comme son successeur et recommence à martyriser les populations en Syrie.
En Iran depuis le début des manifestations déclenchées par la mort en détention, le 16 septembre 2022, de Mahsa Amini, arrêtée pour infraction au strict code vestimentaire, de plus en plus de femmes défient au péril de leur vie et de celles de leurs proches, le régime de Téhéran en enlevant leur voile, un geste illégal dans cette République islamique. La répression au nom de Dieu a déjà fait des centaines de morts.
Au beau milieu du conflit avec l’Ukraine, ce week-end, le président russe Vladimir Poutine a salué, à l’occasion de la Pâque orthodoxe, le rôle « consolidant » de l’Église pour la société et la jeunesse, alors que le patriarche russe Kirill a soutenu son offensive en Ukraine. « Je tiens à exprimer ma profonde gratitude pour votre travail infatigable et désintéressé visant à préserver les valeurs historiques, spirituelles, morales et familiales durables, à éduquer et à éclairer les jeunes », a déclaré Vladimir Poutine dans un message après avoir pris part à la liturgie dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou. Le patriarche russe Kirill a continué de justifier l’offensive en Ukraine en assurant que les peuples russes et ukrainiens étaient des frères qui avaient été séparés de force, notamment par l’Occident.
Dans ces territoires, dans ces situations, « Dieu et les hommes » se lit comme « Les hommes et Dieu ». L’ontologie du divin, le rapport entre la nature divine et la nature humaine, entre le Créateur et les hommes, a été renversé. Ce retournement plonge la religion dans l’obscurantisme et les fidèles dans la violence. C’est la haine qui domine et non la foi. Elle la remplace en actes et toute idée de Dieu échappe à exister. S’il existe, qu’il nous en garde.