«On ne fait pas d’élection avec des prières »Proverbe québécois

 

Bouddhisme mahāyāna

L’Ordre bouddhiste Nipponzan Myohoji 

L’ordre bouddhiste japonais Nipponzan Myohoji est issu du bouddhisme de Nichiren. Sa communauté vénère le Sutra du Lotus comme la plus haute expression du message bouddhiste. Fondé par Nichidatsu Fujii, l’un des grands réformateurs bouddhistes du début du XXe siècle, enseignant du Mahatma Gandhi, cet ordre se distingue en militant pour la paix, au son du tambour partout dans le monde. Sa doctrine et son histoire sont résumées par le moine Felix Shvedovsky.

Dans le bouddhisme, porter le Bouddha sur ses épaules ou sur sa tête est l’une des formes les plus élevées de vénération du Bouddha. Décrite par le fondateur de la foi bouddhiste, Gautama Shakyamuni, principalement dans le Sutra du Lotus et dans nombre de ses sermons, cette forme de vénération est également présente de manière implicite dans la prosternation devant l’autel ou tout lieu saint ; lorsque le croyant s’allonge presque (et même complètement dans la tradition tibétaine) et tend les mains, les paumes vers le haut, comme s’il se préparait à recevoir et soutenir le pied du Bouddha.
C’est dans la compréhension littérale de ce geste, qui pour de nombreux bouddhistes est devenu purement symbolique et s’est réduit à un simple hochement de tête avec les paumes jointes, que l’histoire de l’ordre Nipponzan Myohoji a commencé.
En septembre 1916, Nichidatsu Fujii, moine de la Nichiren Shu, une des écoles du bouddhisme mahāyāna japonais fondée au XIIIe siècle par le moine Nichiren Daishonin, considéré comme l’incarnation du Bodhisattva des Actes Suprêmes, se livre à un jeûne de sept jours sous la chute d’eau Momono-no-taki du lac Kasuga (préfecture de Nara). Durant 7 jours sous cette cascade, il récite sans discontinuer la prière « Namu-Myo-Ren-Ge-Kyo », aussi appelée « o-daimoku ». Cette pratique de l’école Nichiren Shu est l’expression de sa doctrine qui considère et honore le titre du Sutra du Lotus comme l’enseignement suprême du Bouddha.

Le Sutra du Lotus illustré – Chapitre XI – Tour aux Trésors

À la suite de cette pratique ascétique sous les jets de la cascade [1], il eut une vision. Il vit un vagabond portant un enfant sur ses épaules marcher vers lui. Le vagabond battait un tambour.
Nichidatsu Fujii lui demanda son nom et qui il transportait. « Je suis le Bodhisattva des Actes Suprêmes, et j’ai le Bouddha Shakyamuni sur mes épaules », répondit le vagabond avant de disparaitre.
Voir le bodhisattva des Actes Suprême, l’un des bodhisattvas du Sutra du Lotus, accomplir réellement ce qui était devenu depuis longtemps formel - c’est-à-dire porter le Bouddha sur ses épaules - le troubla. En tant que disciple de la Nichiren Shu, il connaissait déjà le Sutra du Lotus et ses enseignements. Mais dans sa vision, en plus de l’enfant Bouddha posé sur les épaules du bodhisattva, il y avait quelque chose de nouveau et d’inhabituel : un tambour dans ses mains. Le fondateur de l’ordre Nipponzan Myohoji y vit le signe que l’exécution littérale de la principale forme de vénération du Bouddha directement liée à la récitation du o-daimoku devait être effectuée au rythme du tambour. Il ne fallait pas simplement chanter assis dans un temple, devant l’autel, mais être en voyage. Le bodhisattva qu’il avait vu était un voyageur. Dans le nom japonais du bodhisattva des Actes suprêmes, Jögyö-Bosatsu, le caractère « gyo » signifie « aller à pied ». Tout cela se mua dans l’esprit du moine en une nouvelle pratique. En deux ans, il créa un ordre de moines errants qui marchaient à pied autour du monde et chantaient Namu-Myo-Ho-Ren-Ge-kyo au rythme des tambours.

Au rythme et au son du tambour

Le tambour à main ou « utiwa-taiku », instrument semblable à un éventail utilisé pour ce nouveau cérémonial n’était pas quelque chose d’inédit pour l’école de la Nichiren-shu. Mais cette pratique n’avait jamais constitué la partie principale du service. L’auteur de ces lignes, qui a assisté à plus d’un office dans des temples de cette école au Japon, n’a vu qu’une seule fois des prêtres traverser la cour du temple sur une courte distance jusqu’à sa porte, en battant de tels tambours. Apparemment, lors d’une occasion particulièrement solennelle. L’auteur ne sait pas non plus si le tambour a jamais été battu par Nichiren lui-même. D’une manière générale, les Japonais sont de grands amateurs de tous types de tambours, qu’il s’agisse de petits tambours à main ou d’énormes tambours en forme de tonneau que l’on trouve dans de nombreux temples bouddhistes d’Asie, et pas seulement au Japon. Les tambours y sont aussi frappés pendant les offices, mais bien moins souvent et bien moins longtemps que dans la pratique du Nipponzan Myohoji où le chant du o-daimoku accompagné de petits tambours constitue l’épine dorsale de l’office et se pratique pendant une heure ou deux.
Dans le Sutra du Lotus, on trouve aussi l’expression « battre le tambour du Grand Dharma », qui rappelle les anciennes disputes bouddhistes en Inde, qui commençaient également par le battement d’un tambour sur la place principale. Et le maître chinois du Ve siècle Tiantai (Tendai en japonais), fondateur de la première école du Sutra du Lotus et prédécesseur de Nichiren, a écrit que le « tambour céleste » et le « tambour empoisonné » étaient deux faces différentes du « tambour du Dharma », selon que la personne qui en entend les sons y est, ou non, prête.

Nichidatsu Fujii n’a donc pas créé une nouvelle pratique, mais en s’appuyant sur ce qui existe dans le bouddhisme depuis des siècles, il a adapté les enseignements du Sutra du Lotus à son époque.
Au début du XXe siècle, il constate déjà le flux croissant d’informations qui conduira à la saturation de l’information que nous connaissons au XXIe siècle avec la révolution Internet ; un espace où chaque mot prononcé appelle une réponse générant deux points de vue et la dispute qui peut se poursuivre à l’infini. L’ordre qu’il a créé a donc écarté les discours, les conférences, les sermons de doctrines complexes et même la simple agitation et la propagande. Il a seulement insisté sur la diffusion de « Namu-Myo-Ho-Ren-Ge-Kyo » le plus largement possible dans le monde entier - mais sans aucune explication. On peut y voir une similitude avec le bouddhisme zen, avec sa transmission des enseignements « de cœur à cœur », et se souvenir du « sourire de Kashyapa », qui a compris que la fleur que le Bouddha lui avait donnée était la prédication du Dharma. Cependant, les moines de l’ordre Nipponzan Myohoji vont plus loin et n’attendent pas que les enseignements ainsi transmis soient acceptés. Même si la réponse au battement de tambour est l’insulte et la persécution, ils ne considèrent pas cela comme leur échec, mais se réfèrent au chapitre XX du Sutra du Lotus, qui décrit la pratique du Bodhisattva « Toujours-Sans-Mépris ».
Ce bodhisattva ne prêchait pas, n’étudiait pas les textes sacrés, il ne savait pas lire. Il se contentait de faire l’éloge de tous ceux qu’il voyait, répétant les mêmes mots : « Je ne peux pas vous regarder avec mépris, car vous deviendrez tous des bouddhas ». Souvent, cela provoquait la colère des gens, et ils le frappaient avec des pierres et des bâtons. Mais lui, après s’être enfui à une certaine distance, continuait à les louer. Comme l’explique le Sutra du Lotus, malgré leurs réactions négatives, les gens ont reçu du Bodhisattva « Toujours-Sans-Mépris » la « graine de la boddhéité » - une connexion avec lui en tant que leur professeur dans des vies futures. C’est grâce à cette simple pratique que tous ceux qu’il a rencontrés sont devenus des bouddhas par la suite, comme il l’avait prédit, même s’ils ont dû passer par tous les cercles de l’enfer parce qu’ils avaient injurié et battu le gourou du Dharma.
Cette simplification de la pratique ne signifie pas pour autant que Nichidatsu Fujii (1885 –1985) était un moine analphabète. Une brève énumération de ses « diplômes » renseignera le lecteur sur l’étendue de ses connaissances. Ordonné moine de l’école de la Nichiren-Shu par le vénérable Nichiei Adachi au temple Hoonji en 1903, il entre à l’université Rissho qui vient d’ouvrir ses portes, et obtient son diplôme avec mention en 1907. Il étudie ensuite au temple Temoji à Kyoto, puis s’instruit des doctrines Tendai à l’école Jodo (Terre pure du Bouddha Amitabha). En 1911, il étudie au monastère Kongakuin du complexe du temple Horyuji dans la préfecture de Nara la doctrine du Yuishiki [2]. En 1912, il entre à l’université centrale de l’école Shingon à Kyoto. En septembre 1914, il ouvre sa première salle de prédication (Kyokaisyo) dans la ville de Katada, sur la rive occidentale du lac Biwa, et en octobre, il entre au monastère Kenjinji à Kyoto, l’un des cinq grands temples du bouddhisme zen de l’école Rinzai, où il étudie auprès du maître renommé, le vénérable Takeda Mokurai (« Tonnerre silencieux »). Nichidatsu Fuji devient un moine respecté dans toutes les grandes écoles du Japon de l’époque. Dans les cercles bouddhistes, on lui prédisait une brillante carrière. Mais il prit un chemin différent.

Le Vénérable Nichidatsu Fujii (1885 – 1985)

Sa pratique qu’il appelle « gyakku-senryo » signifie « battre un tambour et proclamer aux quatre coins du monde son objectif ». Elle fait référence au chapitre « Devadatta » le chapitre XII du Sutra du Lotus dans lequel un roi quitte son trône pour parcourir le monde à la recherche d’un maître spirituel en battant la cloche et le tambour.

L’histoire commence à s’écrire hors du Japon

La fin de la première guerre mondiale est proche lorsque le Japon entreprend de s’emparer de colonies sur le continent asiatique. Nichidatsu Fujii y voit une catastrophe imminente pour le pays. Tout début 1917, pour enrayer cette politique guerrière, il décide alors de créer le Nipponzan Myohoji qui renoue avec l’ancienne tradition des moines mendiants itinérants. Sur le mont Minobu, un mont sacré pour les disciples de Nichiren, Nichidatsu Fujii fait le vœu de « Itten shikai kaiki mōho », qui est la célèbre énonciation-prophétie de Nichiren : « Un ciel et quatre océans (c’est-à-dire le monde entier, notre planète entière, tous les êtres vivants) se confient au Dharma merveilleux ». Arrivé à Tokyo à pied, le 8 février 1917, il commence sa pratique quotidienne avec un tambour devant le palais impérial. Un drapeau de tissu blanc, apposé dans le dos de Nichidatsu Fujii, portait en caractères la prière « Namu-Myo-Ho-Ren-Ge-Kyo » et le célèbre dicton du traité Rissho-ankoku-ron (Établir la justice et la paix dans le pays) de Nichiren : « Changez immédiatement ce en quoi vous croyez et ce que vous révérez ! Retournez vite à la seule chose bonne - le vrai véhicule ! ». Peu après, il quitte le Japon pour le continent asiatique.
En 1918, plusieurs temples Nipponzang Myohoji voient le jour en divers endroits de Manchourie et de Chine du Nord. Mais cette première expansion de l’ordre crée la polémique. Certains chercheurs, notamment soviétiques, comme Svetlov dans son ouvrage intitulé Le Lotus et la politique, insinuent l’existence d’un lien entre l’organisation religieuse et le gouvernement japonais. La présence de l’ordre dans les zones occupées par le Japon signerait son rôle d’agent d’influence au service du pouvoir impérial. L’assassinat de plusieurs moines lors d’une procession de prière dans une ville de Mandchourie, orchestré par les services secrets japonais, servira d’alibi à son invasion et viendra bien malheureusement alimenter les soupçons. Bien entendu, il ne pouvait en être ainsi. Nichidatsu Fujii a toujours été antimilitariste et critiqué ouvertement les militaires japonais lorsqu’ils ont envahi les territoires chinois.
Le lecteur pourra se demander pour quelle raison les premiers temples de l’ordre ne sont pas apparus dans la patrie de son fondateur. Mais l’époque de sa fondation, le Japon n’accueillait pas favorablement le développement du bouddhisme, et encore moins celui qui critiquait sa politique. Une autre raison plus profonde se trouve dans la prophétie de Nichiren, l’« Exhortation à Hachiman », qui se reflète dans le nom même de l’ordre. Nichiren y prédit que « le Dharma du Pays du Soleil Levant reviendra au Pays de la Lune Kin ». Les anciens Japonais désignaient tous les pays situés à l’ouest du Japon, notamment l’Inde, comme les pays de naissance de la Lune. La prophétie de Nichiren indique donc que l’enseignement bouddhiste reviendra du Japon vers les pays où il est né et où il a eu le temps de se développer mais où il est complètement oublié depuis de nombreux siècles. En Inde, au début du XXe siècle, le bouddhisme reste uniquement présent dans les régions septentrionales reculées de l’Himalaya. C’est donc vers l’Inde que le cœur de Nichidatsu Fuji s’est tourné, et c’est à partir de la prophétie de Nichiren qu’il donne à l’ordre son nom que l’on traduit par « Le temple miraculeux du Dharma sur la montagne où le soleil se lève ». La cérémonie du lever du soleil est d’ailleurs l’une des principales cérémonies de l’ordre Nipponzan Myohoji. Une partie de cette cérémonie consiste en la récitation de l’ « Exhortation à Hachiman ».

Pélerinage en Inde et initiation du Mahatma Gandhi

En 1931, Nichidatsu Fujii arrive enfin en Inde et entreprend un pèlerinage vers les lieux saints où le Bouddha a résidé. Voyant leur désolation effroyable, il fait le vœu de faire revivre ces lieux : Rajgir, où le Bouddha a prêché le Sutra du Lotus sur le pic du vautour, Lumbini, où le Bouddha est né. Nichidatsu Fujii s’installe à Bombay, se promène longuement en Inde où il mène une vie exceptionnellement simple de véritable moine mendiant. Au Sri Lanka, il reçoit pour la première fois une sharira - des fragments des cendres du Bouddha Shakyamuni. Cette sharira, témoignage de la reconnaissance de son haut niveau spirituel, lui est remise par le Vénérable Piyaratana, abbé du temple Theravada de Ginigatthena, au pied du mont Sri Pada. L’ordre continuera ensuite à développer des relations amicales avec les moines Theravada, en accord direct avec l’enseignement du chapitre III « Comparaison » du Sutra du Lotus qui traite d’un Véhicule unique où il n’existe pas de division entre le Petit et le Grand véhicule, entre les courants Hinayana et Mahayana. Et cela bien au-delà du simple œcuménisme.

La rencontre amicale de Nichidatsu Fujii avec le Mahatma Gandhi a été marquante pour le développement du Nipponzan Myohoji. Nichidatsu lui enseigna la récitation du « o-daimoku » au tambour. Gandhi, dont il devint proche, adopta et utilisa ensuite cette pratique dans son ashram pour débuter ses prières interconfessionnelles quotidiennes. Les temples de l’ordre ont alors commencé à apparaître en Inde. Les longues robes noires portées quotidiennement par les moines de Nichiren-Shu ont été remplacées par des robes courtes de couleur jaune, plus proches de la couleur et du motif des robes originales des moines de l’époque du Bouddha et plus adaptées aux longs voyages à pied. Et ces voyages seront nombreux, car l’ordre se joint aux nombreuses marches gandhiennes pour l’indépendance de l’Inde. L’ahimsa bouddhiste - la doctrine de la non-violence - a trouvé un nouveau souffle dans la stratégie de résistance civile non violente qui a traversé le pays.

Procession de moines japonais de l’ordre Nipponzan Myohoji portant les cendres du Bouddha sharira au siège des Nations unies à New York en 1988 pour demander le désarmement nucléaire, avec le Vénérable Junsei Terasawa en tête.

Le choix du retour à la couleur jaune des robes des moines du Nipponzan Myohoji nécessite encore quelques précisions. Les robes des moines bouddhistes ont cessé d’être jaunes après que le bouddhisme soit passé d’Inde en Chine où cette couleur, considérée comme celle de l’empereur, était interdite à tous ses sujets. La communauté bouddhiste a dû se plier à cette règle et les robes des moines sont devenues brunes et noires. Sous cette forme, le bouddhisme s’est répandu plus loin à l’est. Mais comme le dit l’un des premiers traités bouddhistes de Chine, « un moine ne doit pas rendre hommage à l’empereur » ; en d’autres termes, les saints hommes sont au-delà des lois du monde, et ce sont les dirigeants des États qui doivent écouter leurs conseils, et non l’inverse. Cette approche a été reprise dans l’ordre Nipponzan Myohoji, qui critique ouvertement les politiques des États sur le territoire desquels il se trouve. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’ordre est souvent réprimé et contraint de quitter ces États.

Retour à la tradition de la construction des stupas

Après 1945, le Nipponzan Myohoji a ajouté le tambour et la robe jaune (shula) aux deux signes distinctifs des moines. L’Ordre a aussi commencé à ériger des Stupas de la paix dans tout le Japon. Ceux-ci sont devenus le symbole de la renonciation du pays au militarisme après l’armagedon nucléaire d’Hiroshima et de Nagasaki. La création de stupas contenant les cendres du Bouddha Shakyamuni (sharira) est une forme de vénération du Bouddha aussi ancienne que la prosternation, mais elle a malheureusement été oubliée par de nombreuses écoles bouddhistes, y compris par la Nichiren Shu.
Le stupa est essentiellement la manière dont le Bouddha se trouve éternellement dans le monde de la nature inanimée, il manifeste la suppression de la distinction entre l’animé et l’inanimé. Grâce au nouveau sens que l’ordre Nipponzan Myohoji donne aux stupas, ces derniers ont sont érigés non seulement sur des sites sacrés historiquement associés au Bouddha Shakyamuni, mais aussi dans le monde entier comme centres du mouvement pour le désarmement nucléaire. Dans les années 1970 et 1980, leur construction s’est répandue en Europe et en Amérique. Les moines de l’Ordre ont mené des milliers de marches de la paix contre les bombes atomiques et les bases militaires. Des branches de l’Ordre se sont ouvertes dans le monde entier, mais le nombre total de moines n’a jamais dépassé quelques centaines : Nichidatsu Fujii a strictement contrôlé le développement de l’Ordre afin d’éviter qu’il ne devienne une nouvelle structure bouddhiste faisant commerce de sa religion. Cela dit, l’ordre a toujours eu beaucoup de donateurs désintéressés.

Le stupa de la paix, construit par le Vénérable Junsai Terasawa à Londres en 1985.

Le maitre Junsei Terasawa, premier disciple de Nichidatsu, a joué un rôle inestimable dans la construction des premiers stupas ou pagodes de la paix. Au début des années 1970, jeune moine, il a participé à leur construction en Inde. Les stupas y ont ravivé la mémoire de l’histoire bouddhiste du pays qui a connu un nouvel essor après son indépendance. L’ordre Nipponzan Myohoji était inscrit dans le programme de l’État visant à faire revivre les lieux saints. Mais après qu’Indira Gandhi a commencé à s’écarter des enseignements de non-violence de son homonyme, le Mahatma Gandhi, et qu’elle a brutalement, avec de nombreuses victimes, réprimé le séparatisme sikh, l’ordre qui n’a pu rester silencieux a finalement été expulsé d’Inde. Le gouvernement successeur d’Indira Gandhi a ensuite présenté ses excuses à l’ordre et l’a invité à revenir en Inde, mais les moines ont alors dû déplacer leur centre d’activité en Europe. Junsei Terasawa s’est retrouvé en Grande-Bretagne, où il a vécu pendant 15 ans, menant une vie misérable de vrai moine bouddhiste. En 1980, grâce à sa pratique assidue du tambour dans les rues de Londres et autour des bases nucléaires, il est remarqué par la société civile britannique et invité à construire une pagode de la paix à Milton Keynes, non loin de Londres, puis à Londres même en 1985.

De la fin de l’Urss à l’ère Poutine

La vie de ces deux hommes, le Vénérable Nichidatsu Fujii et le Vénérable Junsei Terasawa, mériterait d’être racontée plus en détail. Mais pour ce bref aperçu de l’histoire de l’Ordre, nous indiquerons seulement qu’officieusement Nichidatsu Fujii a nommé Junsei Terasawa comme son successeur (officiellement, il n’est pas le chef de l’ordre, mais le premier moine initié), et que trois ans après la mort de son maître, en 1988 et le jour de l’anniversaire du Bouddha, Junsei Terasawa est venu en Union soviétique pour prier sur la Place Rouge avec le chef des lamas bouddhistes de Bouriatie, une des républiques soviétiques proche de la Mongolie. Cela fut un véritable événement dans ce pays qui était alors un État athée. Le lendemain, Junsei Terasawa rencontre le dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev. À l’époque, les négociations entre les États-Unis et l’URSS sur le désarmement nucléaire sont couronnées de succès. Terasawa remet à Gorbatchev les cendres de Bouddha en reconnaissance de ses efforts de pacification et comme promesse qu’une pagode de la paix sera érigée à Moscou à l’avenir.

Le Vénérable Junsai Terasawa présente un stupa en bois avec une sharira de Bouddha au président soviétique Mikhail Gorbachev lors d’une réception au Kremlin en 1988.

Trois ans plus tard, en août 1991, Terasawa retourne à Moscou et se retrouve au cœur de l’action, sur les barricades devant la Maison Blanche, lors de la tentative de coup d’État communiste. Il bat un tambour et prie pour la victoire non violente de la démocratie, bientôt gagnée. Il se fait de nombreux amis. En mai 1992, Terasawa-sensei, comme on l’appelait là-bas, organise la première ordination de moines de l’ordre Nipponzan Myohoji. L’initiation a lieu à Moscou. Parmi ses étudiants, il y a des russes mais aussi beaucoup d’Ukrainiens et de Biélorusses. Progressivement, le cercle des disciples s’élargit à l’Asie centrale, principalement au Kirghizstan et au Kazakhstan.
Après la fin de l’Union soviétique, les destins de la Russie, de l’Ukraine et du Kirghizstan ont divergé. Il en a été de même pour les branches de l’ordre Nipponzan Mohoji qui s’y sont développées. Aucun temple n’est jamais apparu en Russie, à l’exception d’un lieu dans les montagnes de l’Altaï que le maître Junsei Terasawa n’a jamais pu consacrer car il a été interdit d’entrer en Russie en 2000, peu après l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Un peu avant le début de la deuxième guerre de Tchétchénie, un projet de pagode de la paix a été élaboré avec succès à Moscou ; l’autorisation avait déjà été obtenue auprès de la mairie et un terrain avait été attribué. Mais en raison du déclenchement des hostilités, l’Ordre gèlera le projet en signe de protestation. Au Kirghizstan, dans les montagnes de Tien Shan, près de Bishkek, la capitale, un monastère a vu le jour. En Ukraine, des monastères ont également été ouverts : à Kharkiv, Donetsk et près de Luhansk. Le monastère de Kharkiv après avoir connu beaucoup de difficultés a été fermé en 2001. Une petite pagode de la paix érigée en 1997 a survécu à la fermeture du monastère pendant 23 ans. Elle été démantelée en 2020 en raison d’un désaccord avec le nouveau propriétaire.
Avec le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne en 2014, l’Ordre a également dû abandonner les monastères de Donetsk et de Luhansk, mais deux nouveaux ont été fondés dans les Carpates et près de Tcherkassy. La construction d’une pagode de la paix débutée en 2013 près du monastère proche de Luhansk, a elle aussi été gelée pour une durée indéterminée.
Mais Nichidatsu Fujii comme Junsei Terasawa ont toujours souligné que l’essentiel dans la pratique de l’Ordre n’est pas la construction de bâtiments symboles du lieu de la Voie, mais ces lieux de la Voie qui se forment spontanément et où la véritable pratique a lieu. Peu importe que ce soit un appartement loué ou une cabane sous un arbre. Après tout, le Nipponzan Myohoji est avant tout un ordre de moines errants. Et dans son histoire, il y a toujours eu et il y aura toujours de nombreuses processions ou marches pour la paix. La Marche de la compassion des mères de 1995, de Moscou à la Tchétchénie, organisée par l’Ordre en collaboration avec le Comité des mères de soldats de Russie pendant la guerre dans cette petite mais fière république du Caucase du Nord, en est un exemple. Elle a connu un succès retentissant dans le monde entier.

Rassemblement de la Marche de la compassion des mères entre Moscou et la Tchétchénie.

En 1998, l’Ordre organise une autre grande marche pour la paix. Traversant l’Eurasie de Yasnaya Polyana à Lumbini, elle relie le lieu de naissance de l’écrivain russe et professeur de non-violence, Léon Tolstoï (l’inspirateur du Mahatma Gandhi), au lieu de naissance du Bouddha Shakyamuni. Parcourant le Caucase et l’Asie centrale relativement calmes à l’époque, mais où la deuxième guerre de Tchétchénie couvait déjà, la marche vise aussi à apaiser les tensions nucléaires entre l’Inde et le Pakistan. Une marche pour la paix spécifique au Pakistan se déroulera en 2002. Quand en 2003, la deuxième guerre en Irak éclate - de nouveau, les moines de l’ordre, disciples de Junsai Terasawa, sont là, avec lui, pour une marche pour la paix. Il sont également présents lors du premier Maidan à Kiev en 2004. En 2014, juste après la victoire du second Maïdan à Kiev, l’Ordre organise une marche pour la paix à travers l’Ukraine. Il était encore sur place en février 2022, une semaine avant le début de l’invasion russe.

Prière dans le centre de Kiev une semaine avant l’invasion russe de février 2022

Depuis le 24 février, l’Ordre du Nipponzan Myohoji continue de prier pour la paix en Ukraine, au cœur de la guerre...

L’auteur : Felix Vyacheslavovich Shvedovsky, est né à Moscou en 1971. Diplômé de la Faculté de journalisme de l’Université d’État de Moscou Lomonosov, de 1988 à 1993, il a documenté la vie religieuse d’URSS, puis de la Fédération de Russie. En 1997, il s’ inscrit à un troisième cycle à l’Institut d’études orientales de l’Académie des sciences de Russie (IWRAN) . En 2004, dirigé par T. P. Grigorieva (une célèbre spécialiste russe du Japon), il soutient une thèse intitulée « Sutra du Nirvana ». Interprétation du maître bouddhiste japonais Nichiren. ». En 2005, ses traductions de certains chapitres du Sutra du Nirvana (réalisées à partir du Nehan-gyo anglais du japonais Kosho Yamamoto) sont publiés par la maison d’édition pétersbourgeoise Triad. Lors de ses études à l’IWRAN il a également collaboré avec le célèbre indologue R. B. Rybakov, le Centre d’études japonaises et a dirigé de 2006 à 2009 le bureau mémoriel du célèbre spécialiste tibétain Y. N. Roerich.
Fondateur de la première communauté bouddhiste (tibétaine) à Moscou en 1989, Felix Shvedovsky a été initié moine bouddhiste de l’ordre Nipponzan Myohoji en 1994 par le Vénérable maître japonais Junsei Terasawa. Sa formation s’est déroule lors de pèlerinages dans des pays associés à l’histoire du bouddhisme : Inde, Pakistan, Népal, Chine, Japon, Corée, Vietnam. L’essence de la pratique du Sutra du Lotus, la doctrinee centrale de l’école Nichiren, étant d’établir la justice et la paix sur terre, il a participé à de nombreuses marches pour la paix conduite par son maitre dans les points chauds du globe comme la Tchétchénie en 1995, le Pakistan en 2002 et l’Ukraine en 2014. En 2014 ses carnets de voyages sont publiés sous le titre Around the World with a Drum, par la maison d’édition moscovite Vremia. Il a aussi collaboré avec le site Credo.press (Portal-Credo.Ru), un média russe en ligne sur les droits de l’homme religieux bloqué par la censure militaire russe depuis l’invasion de l’Ukraine.
Aujourd’hui, il est le moine senior en exil d’une petite communauté Nipponzan Myohoji de Moscou.

Lire à ce propos l’article : Guerre en Ukraine : un moine bouddhiste russe dans la tourmente

Illustrations : Ordre Nipponzan Myohoji

[1Il s’agit d’une pratique ancienne au Japon par laquelle les chamans obtenaient des pouvoirs surnaturels.

[2La doctrine du Yukishi (« il n’y a que la conscience »), est la doctrine Abhidharma de Vasubandhi de l’école Hosso, l’école du « Signe véritable » de toutes les formes, fondée en Chine par le légendaire pèlerin Xuan-jian.

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L’invasion de l’Ukraine par la Russie ne doit laisser personne indifférent !!! Outre les condamnations, il faut agir pour redonner et garantir son intégrité territoriale à l’Ukraine afin d’empêcher tout autre pays de suivre l’exemple terrible de cette invasion par la force.

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