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Projet de loi immigration : la Défenseure des droits pointe des risques majeurs pour les droits fondamentaux des étrangers

Le projet de loi qualifié de « gentil pour les gentils et méchant pour les méchants » par le ministre de l’intérieur, a été examiné par le Défenseur des droits, autorité administrative indépendante inscrite dans la Constitution. Dans un avis rendu le 23 février, la Défenseure des droits, Claire Hédon juge que ce texte soulève de très nombreux points de préoccupation et comporte des risques majeurs pour les droits fondamentaux des étrangers.

Renforcer les contrôles aux frontières, la lutte contre l’immigration irrégulière et l’encadrement de la procédure d’asile, le projet de loi immigration du Gouvernement vise à créer les conditions d’une « intégration réussie » des étrangers en France. Des conditions qui ne seraient pas réunies en raison d’une insertion professionnelle insuffisante et d’une délinquance importante dans un contexte d’augmentation continue des « flux migratoires » souligne l’étude d’impact du projet.
Pour y remédier, le Gouvernement a donc introduit dans son texte des dispositions visant à faciliter l’intégration des personnes immigrées par le travail et l’apprentissage de la langue française ainsi qu’une simplification contentieuse permettant d’accélérer l’éloignement ou l’intégration des étrangers. Toutefois, l’État qui a toute prérogative pour définir les conditions d’admission des étrangers sur son territoire, de leur séjour et de leur éloignement, ne peut prendre de dispositions faisant de ces conditions des moyens de restreindre arbitrairement les droits fondamentaux des étrangers. Or, selon la Défenseure de droits, le projet de loi déposé au Sénat est de nature à porter gravement atteinte à ces droits.
Dans son avis, rendu ce jeudi, la Défenseure de droits s’inquiète en premier lieu des données sur lesquelles les dispositions du projet de loi reposent. Données qu’elle juge contestables et problématiques. « L’exposé des motifs et l’étude d’impact ne permettent pas d’apprécier la mesure des phénomènes que le projet de loi devrait réguler ou l’inefficacité des dispositions législatives actuelles pour atteindre les objectifs visés » peut-on lire dans l’avis. Par ailleurs, elle rappelle que depuis les années 1970, les projets de loi poursuivant le même but s’enchainent de plus en plus rapidement avec pour seul résultat, souligne-t-elle de complexifier le droit applicable aux étrangers et d’alimenter les difficultés des administrations (préfecture surchargées) et des juridictions à accueillir et traiter leurs dossiers.
Puis dans son analyse du texte, la Défenseure des droits a relevé trois types d’atteintes qui ont pour effet d’accentuer la possibilité pour l’administration de restreindre arbitrairement ou d’une manière disproportionnée les droits fondamentaux des étrangers.

Les droits fondamentaux des étrangers menacés par l’instrumentalisation du droit au séjour

Renforcement des exigences d’intégration. En France, les garanties constitutionnelles et européennes des droits et conditions d’octroi, renouvellement ou retrait du droit au séjour limitent le pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière de droit au séjour. Or l’avis constate que le texte va « à rebours de ces exigences » et s’inscrit « dans un mouvement de remise en cause des droits fondamentaux des étrangers » en instrumentalisant le droit de séjour. L’article 1er du projet de loi prévoit en effet de conditionner l’obtention d’une carte pluriannuelle à la justification d’une connaissance de la langue française, et non pas seulement d’une assiduité à la formation. Aujourd’hui l’exigence de connaissance de la langue française qui conditionne la délivrance d’une carte de résident ne concerne pas les étrangers de plus de 65 ans. On comprend aisément en effet que l’apprentissage d’une langue étrangère au delà de cet âge est difficile. Mais la Défenseure des droits relève que dans le texte du Gouvernement, il n’existe plus aucune exception liée à l’âge, à l’état de santé, au handicap ou à la vulnérabilité économique qui pourraient pourtant empêcher les étrangers de suivre les formations requises ou d’acquérir un niveau de français suffisant. Résultat « Les personnes les plus fragiles ne pourraient plus accéder à aucun titre de séjour pérenne » dénonce la Défenseure des droits qui constate que si les conditions liées à l’intégration sont renforcées, elles en accentuent tout autant les risques discriminatoires.
Réduction des protections par extension du périmètre de l’ordre public.La corrélation entre le droit au séjour et l’absence de menace à l’ordre public n’est pas nouvelle rappelle l’avis. Aujourd’hui, le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) conditionne l’accès à un titre de séjour à l’absence de menace à l’ordre public et autorise son retrait, sous certaines conditions, si une telle menace devait être établie provoquant ainsi des mesures d’éloignement du territoire (OQTF) et d’interdiction du territoire français (ITF).
Ces mesures, indique l’avis, s’inscrivent dans une logique que l’on qualifie de double peine puisqu’elles visent à doubler la sanction pénale dont une personne étrangère a pu faire l’objet dans les mêmes conditions qu’un Français, d’une sanction spécifique en lien avec la qualité d’étranger, à savoir l’éloignement du territoire. Toutefois, afin de ménager un équilibre entre les objectifs de préservation de l’ordre public et les obligations qui incombent par ailleurs à la France en matière de protection des droits fondamentaux, la loi assortit actuellement chaque mesure d’éloignement de protections liées à l’ampleur de l’atteinte que cette mesure d’éloignement porterait notamment au droit au respect de la vie privée et familiale ou à l’intérêt supérieur de l’enfant. Ainsi pour une expulsion qui vise précisément à éloigner un étranger dont il est établi qu’il représente une menace grave pour l’ordre public, ces protections sont modulées au regard de la gravité de la menace. L’avis prend l’exemple d’un parent d’enfant français résidant en France et justifiant de sa contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Aujourd’hui, le conjoint de Français depuis au moins trois ans ou l’étranger résidant régulièrement en France depuis dix ans, ne pourrait être expulsé qu’en raison d’une « nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique ». Or, la Défenseure des droits note que le projet de loi entend profondément bouleverser cet équilibre en introduisant d’une part, pour les protections contre l’obligation de quitter le territoire, une réserve d’ordre public qui n’existait pas jusqu’alors (article 10 du projet de loi) et, d’autre part, en amoindrissant notablement le champ des protections contre l’expulsion (article 9 du projet de loi). Jusqu’à présent, certaines protections contre l’expulsion pouvaient être levées dans le cas où la personne étrangère avait fait l’objet d’une condamnation à une peine d’au moins 5 ans ferme. Or, souligne l’avis, l’article 9 revient sur cette logique en prévoyant une levée des protections non plus au regard de la peine prononcée mais de la peine encourue. L’étranger se retrouverait donc expulsable pour être passible d’une peine et non plus pour y avoir été condamné. Outre d’aller à l’encontre du principe d’individualisation de la peine, les peines encourues étant toujours très supérieures aux peines prononcées, cette disposition du texte élargit donc de manière arbitraire et très importante le champ des personnes expulsables et pour lesquelles la gravité de la menace représentée sera loin d’être établie. Par ailleurs, renchérit l’avis, le risque d’atteinte aux droits fondamentaux sera d’autant plus important que le recours contre l’expulsion n’est pas, en principe, suspensif.
L’ensemble de ces dispositions signent une extension inquiétante de l’ordre public, au détriment de la protection des droits fondamentaux des étrangers conclut l’avis en indiquant que l’objectif, légitime poursuivi par le Gouvernement d’assurer la meilleure protection de l’ensemble des personnes présentes sur le territoire devrait préférentiellement se faire via la mobilisation des outils pénaux de droit commun, lesquels permettent d’assurer une réponse pénale uniforme quelle que soit la nationalité de la personne concernée.

Le droit au juge réduit au nom de l’efficacité de l’action de l’État

Le risque d’atteinte aux droits fondamentaux des étrangers est également renforcé par la réduction des garanties procédurales devant leur bénéficier. L’avis de la Défenseure des droits indique qu’outre une simplification problématique du contentieux des étrangers, le projet de loi comporte des remises en cause des principes fondamentaux d’un procès équitable en matière de privation de liberté et autorise des atteintes à la liberté personnelle (sans contrôle) par une juridiction au nom de l’efficacité de l’action de l’administration et des juridictions.
La « simplification » du contentieux des étrangers. La nécessité d’une simplification du contentieux des étrangers est constamment soutenue par de nombreuses institutions, dont le Défenseur des droits. Cette simplification fait partie des objectifs de la réforme proposée. Toutefois, souligne l’avis, les modalités envisagées dans le cadre du projet de loi sont « superficielles » ou « contre-productives » et menacent le droit au recours effectif des étrangers. L’article 21 du projet de loi crée un nouveau livre dans le CESEDA relatif aux procédures contentieuses devant le juge administratif. Il y est défini quatre types de procédures réparties en fonction de la formation de jugement : une procédure collégiale dite « procédure ordinaire » avec un délai de recours d’un mois et trois procédures à juge unique avec trois délais de recours distincts – 48 heures, 72 heures et sept jours. En ajoutant un nouveau délai de recours – 72 heures – « que le CESEDA ignorait jusqu’alors » souligne l’avis, le projet de loi complexifie un peu plus le contentieux, dénonce la Défenseure des droits qui estime aussi qu’il accentue les restrictions au droit au recours effectif des étrangers alors que ce contentieux repose déjà sur des règles échappant au droit commun. « Cette réforme législative ne peut parvenir à l’objectif de réduction de la masse du contentieux des étrangers », prévient la Défenseure des droits.
Généralisation de la délocalisation des audiences et des visio-audiences. La remise en cause du droit au recours effectif est particulièrement nette en matière de privation de liberté. Le projet de loi (par ses articles 21 et 24) exclut le contentieux de la privation de liberté des étrangers des enceintes judiciaires situées au cœur de la cité. L’isolement géographique de l’étranger ainsi maintenu à proximité de la zone d’attente ou du lieu de rétention, souvent situé à plusieurs dizaines de kilomètres des villes, risque de le priver de tout public à son audience. Pour y pallier, ces dernières années, des visio-audiences se tiennent régulièrement depuis des salles relevant du ministère de l’Intérieur situées dans l’enceinte des CRA ou d’un commissariat, ce qui, souligne l’avis, est contraire aux exigences constitutionnelles, légales, et jurisprudentielles et constitue une restriction au droit à un procès équitable, doit demeurer l’exception et être entourée de garanties notamment dans le cas de l’examen de la situation d’un mineur.
La prise d’empreinte sous contrainte. Le projet de loi permet le recours à une contrainte portant atteinte à la liberté personnelle sans contrôle préalable d’une juridiction. Dans son article 11 il autorise, après simple information du procureur de la République, le relevé signalétique sous contrainte (relevé des empreintes digitales et prise de photographie) d’une personne étrangère contrôlée à l’occasion du franchissement d’une frontière extérieure et lors de vérifications du droit au séjour et de circulation sur le territoire sans remplir les conditions d’entrée.
La prise d’empreinte sous contrainte permise par cette disposition constitue une atteinte à l’intégrité physique des étrangers qu’aucune disposition du CESEDA ne prévoit actuellement indique la Défenseure des droits. Si une telle possibilité a été introduite en 2022 dans le cadre d’une procédure pénale, l’avis souligne que le Conseil constitutionnel a estimé qu’elle était une telle restriction de la liberté personnelle et des droits de la défense, qu’elle ne pouvait être constitutionnelle que si des garanties procédurales importantes étaient assurées. L’absence d’exclusion des mineurs du champ d’application de l’article 11 avec le risque d’atteinte à l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant fait de cette disposition une préoccupation majeure de la Défenseure des droits.

Absence de protection des étrangers les plus vulnérables

Certaines personnes doivent bénéficier d’une protection renforcée de leurs droits en raison de leur vulnérabilité. Sans être privées de leurs droits au sens juridique, en général ces personnes peuvent l’être de fait en raison d’aléas matériels ou d’une décision arbitraire car elles ne bénéficient d’aucune autre ressource pour protéger leurs droits. Dans son avis, la Défenseure des droits juge que le projet de loi n’assure pas une protection des personnes les plus vulnérables et notamment celle des plusieurs centaines de milliers de travailleurs qui seraient en situation irrégulière, c’est-à-dire dépourvus d’autorisation de travail ou de droit au séjour.
La création d’un titre de séjour « métiers en tension ». Pour remédier à la croissance du travail illégal, l’article 3 du projet de loi propose de créer une nouvelle carte de séjour temporaire fondée sur les métiers en tension. L’avis salue cette disposition qui créée un nouveau titre de séjour « métiers en tension » attribuable de « plein droit », mais y relève aussi des insuffisances : la disposition conduit au maintien d’un double régime insuffisamment protecteur des droits des travailleurs concernés ; par ailleurs, la durée de ce titre de séjour est d’un an, sans que les conditions de renouvellement ne soient clairement précisées (l’article 3 se limite en effet à indiquer qu’à l’expiration de cette carte, une carte de séjour pluriannuelle de quatre ans pourra être accordée aux travailleurs disposant de contrats à durée indéterminée).
Le recours au juge unique à la Cour nationale du droit d’asile. En généralisant par son article 20, le recours au juge unique à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), le projet de loi semble sacrifier la collégialité aux impératifs de rationalisation et d’accélération de la procédure d’asile. La Défenseure des droits y voit une étape supplémentaire dans l’approche comptable de la justice dédiée aux demandeurs d’asile, « susceptible de priver les requérants des garanties processuelles fondamentales d’une justice équitable que sont l’indépendance et l’impartialité de la justice ».
La rétention administrative des mineurs. À l’heure actuelle, les nombreuses dérogations prévues à l’interdiction de placer en rétention les parents accompagnés de mineurs aboutissent davantage à légaliser la pratique de la rétention administrative de mineurs qu’à la prohiber, souligne l’avis qui constate que malgré les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (ayant condamné la France à huit reprises), la présence de mineurs en rétention demeure fréquente.
Alors même que l’objectif affiché par le Gouvernement de mettre fin à la rétention des mineurs pouvait être salué souligne la Défenseure des droits, elle regrette que celui-ci ne soit pas atteint par la rédaction de l’article 12 du projet de loi. Dans sa rédaction, la rétention n’est interdite que pour les mineurs de moins de 16 ans, tandis qu’elle est autorisée sous certaines conditions pour les mineurs de 16 à 18 ans, sans que rien ne justifie cette différence pointe l’avis. De plus, l’article ne prohibe nullement le placement d’un mineur, quel que soit son âge, au sein de locaux de rétention administrative (LRA) ou en zone d’attente alors même que la rétention dans de tels locaux de mineurs est en augmentation, est-il encore signalé. Enfin, l’article 27 du projet de loi prévoit une entrée en vigueur différée de l’article 12 au 1er janvier 2025 sans qu’aucune difficulté liée à leur mise en œuvre ne le justifie. « Seule une interdiction par le législateur du placement de tout mineur de 18 ans en Centre de rétention administratif (CRA), mais également en LRA ou en zone d’attente, serait satisfaisante au regard des droits et libertés des mineurs », s’indigne la Défenseure des droits.

En définitive, la Défenseure des droits estime que le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » proposé par le ministère de l’intérieur fragilise considérablement les droits et libertés fondamentaux des étrangers par l’inversion du lien entre séjour et intégration (le droit au séjour étant la première condition d’une intégration réussie) ; Cette inversion, selon elle, expose de manière accrue les étrangers à un pouvoir discrétionnaire croissant de l’administration. En particulier, en raison de la généralisation des exigences liées à l’ordre public lors de la délivrance, du renouvellement ou du retrait d’un titre de séjour, mais aussi en raison du droit au respect de la vie privée, de l’intérêt supérieur de l’enfant ou de la prohibition des traitements.
À l’inverse de cette logique, la Défenseure des droits estime que l’intégration ne pourra être facilitée qu’en modifiant la loi de manière à ouvrir les possibilités d’accès à un titre de séjour pérenne aux personnes ayant vocation à demeurer durablement en France. Devant le nombre croissant de jeunes majeurs qui se heurtent à des refus d’admission au séjour, elle invite le législateur a reconnaître, dès leur majorité, l’admission au séjour de plein droit des mineurs non accompagnés. Pour cela elle suggère au Gouvernement qu’une carte de séjour temporaire « Vie privée et familiale » puisse leur être délivrée quel que soit l’âge auquel ils ont été pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance et quels que soient leurs liens avec leur famille dans leur pays d’origine.

Adopter en l’état le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » fragiliserait considérablement les droits et libertés fondamentaux des étrangers. Cela ne serait pas non plus sans conséquences sur les droits fondamentaux en général.

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