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Ecole : le dernier sondage Ifop des enseignants confirme une situation préoccupante des atteintes à la laïcité

A la veille de la journée nationale de la laïcité (9 décembre), l’Ifop publie pour la revue mensuelle Ecran de Veille une grande enquête visant à évaluer l’ampleur et l’évolution de ces atteintes au principe de neutralité religieuse dans l’espace scolaire. L’augmentation des atteintes est à la mesure de l’inquiétude des enseignants, préoccupante.

Montée du fait religieux et des atteintes à la laïcité

Réalisée auprès d’un échantillon national représentatif de 1000 enseignants du primaire et du secondaire, cette étude montre que la loi interdisant les signes religieux à l’Ecole (2004) n’empêche pas une montée des manifestations identitaro-religieuses aussi bien en classe que durant d’autres moments de la vie scolaire (ex : cantine, sorties scolaires…).
En classe, la contestation des enseignements pour des motifs religieux est en recrudescence et constituent désormais des faits observés par la majorité des enseignant : 60% des professeurs du secteur public y ont été confrontés au moins une fois au cours de leur carrière et pour la plupart, cela est arrivé au cours des 15 derniers mois.
Depuis septembre 2021, trois enseignants du public sur dix (37% dans le secondaire) ont été confrontés à des contestations d’enseignements au nom de la religion D’autres enseignements sont également contestés, notamment ceux relatifs :

  • Aux relations de genre, que ce soit en matière de mixité filles-garçons (33% ; +9 points) ou de cours dédiés à la lutte contre les stéréotypes de genre (33% ; +7 points) ;
  • A la transmission de la culture civique tels que les cours d’enseignement moral et civique (32% ; +6 points) ou les séquences abordant la laïcité (33% ; +6 points) ;
  • A l’histoire humaine ou naturelle comme durant des cours d’histoire-géographie (32% ; +8 points) ou dédiés aux sciences de la vie et de la Terre (29% ; +5 points).

    Dans les autres domaines d’enseignements, les tensions de nature religieuse semblent moins fortes à l’exception de la matière culturelle où la proportion d’enseignants ayant observé des formes de contestations d’enseignements d’éducation artistique/musicale a quasiment doublé entre 2020 (12%) et 2022 (20%).

Hors des cours, dans l’enceinte de l’établissement, les résultats de l’enquête montrent que les atteintes à la laïcité (ex : vêtements, alimentation, mixité…) sont loin d’être un phénomène isolé. Près des trois quarts des enseignants du public (71%) rapportent en avoir déjà observé au moins une dans l’enceinte de leur établissement depuis l’application de la loi de 2004. 
Mais c’est aussi loin d’être un phénomène daté dans la mesure où près de la moitié des enseignants du public (47%) y a été confronté au moins une fois au cours des quinze derniers mois (septembre 2021-novembre 2022), leur proportion étant même nettement majoritaire dans les banlieues populaires (54%) et les lycées (55%).

Multiplication des abayas et des qamis

Tenue traditionnelle arabe conforme aux préceptes islamiques de pudeur imposés aux femmes, l’abaya est un vêtement qui, comme le qamis, n’est pas de nature religieuse au sens strict mais qui s’est largement propagé dans l’espace scolaire si l’on en juge cette étude et la proportion d’enseignants qui signalent aux sondeurs l’avoir constaté : 27% du corps enseignant y a déjà été confronté (dont 16% au cours des quinze derniers mois) et cette proportion est deux fois plus forte dans les lycées publics (49%). Et là encore, si le phénomène est là aussi plus répandu en REP (42% / 22%), l’étude montre que le port des abayas et autres qamis n’est pas l’apanage des banlieues pauvres : les professeurs des villes-centre des agglomérations sont tout aussi nombreux (32%) à le signaler et on le mesure dans des proportions significatives dans les banlieues aisées ou en milieu rural (22% à 25%).

Des atteintes à laïcité particulièrement répandues dans les lycées publics et dans les zones prioritaires

Ce sont dans les lycées publics, signale l’étude, que 46% des professeurs ont constaté l’absence de jeunes filles aux cours de natation ou d’EPS pour des motifs religieux et que 25 % ont observé des refus de donner la main (ex : sport, sorties scolaires…) au nom de convictions religieuses.
La « communauté de table » ou les tentatives d’imposer certaines injonctions alimentaires constituent un autre phénomène important si l’on en juge les données de l’étude qui rapporte que 45 % d’enseignants en lycée public sont confrontés à des demandes de menus confessionnels et que 22% d’entre-eux assistent aussi à des formes de « séparatisme alimentaire » avec l’organisation à la cantine de tables en fonction de la religion des élèves.
L’essentiel des autres atteintes à la laïcité relevées dans l’étude est constitué de tentatives d’imposer des tenues vestimentaires religieuses, donnant à penser que la loi de 2004 ne serait pas respectée partout. Plus d’un enseignant du public sur trois a ainsi déjà vu des élèves refuser d’ôter leur vêtement à caractère religieux (36%) ou bien ne les enlever qu’avant d’entrer en salle de cours (35%). Ils observent aussi des formes de pressions ou replis communautaires : chantage sur des jeunes filles s’étant dévoilées dans l’enceinte de l’établissement (22%), encouragement à porter des vêtements marquant une appartenance religieuse (30%) ou encore, instauration de vestiaires ou de WC séparés en fonction de la religion (21%).

Les données de cette étude de novembre 2022 confirment donc la tendance des enquêtes précédentes menées par l’Ifop sur le sujet (CNAL 2018, FJJ 2020), mais elles montrent aussi que c’est désormais dans les zones d’éducation prioritaire que les atteintes au principe de laïcité sont les plus massives. Ainsi, 80% des enseignants en REP/REP+ ont été confrontés à au moins une atteinte depuis 2004 et près des deux tiers (63%) l’ont été depuis la rentrée de 2021. Dans ces établissements, un enseignant sur trois rapporte y avoir déjà constaté des élèves faisant leur prière (31%) dans l’enceinte de leur établissement, organisant des tablées en fonction de la religion (34%) ou faisant du chantage aux jeunes filles s’y étant dévoilées (32% : soit 10 % de plus que dans les établissements non REP). Et ils sont même un peu plus à avoir été confrontés à un refus d’enlever des vêtements de nature religieuse (39%) et à leur port en dehors des salles des cours (36%).

Des enseignants sur le reculoir

Conséquence de cette montée, les signes d’une anxiété croissante autour des questions de laïcité, les pratiques d’évitement, se multiplient dans le corps enseignant si l’on en juge par la hausse du nombre de professeurs du public s’étant déjà autocensurés pour éviter des incidents sur ces sujets. L’étude indique une proportion de 56% d’enseignants, contre 36% avant l’assassinat de Samuel Paty (2018). Et si la moitié de « la France des profs » a peur au point d’éviter certains sujets (52% en moyenne, contre 43% fin 2020), cette montée de leur appréhension se fait particulièrement ressentir en zone d’éducation prioritaire (65%, +18 points depuis 2020), chez les jeunes professeurs (60% chez les moins de 30 ans) et dans les rangs de ceux enseignant l’histoire-géographie (64%).

Les enseignants de moins de 30 ans plus souples sur la Laïcité

Cette plus grande « tolérance » des jeunes générations au port de vêtement de nature identitaire se retrouve dans leur disposition plus forte à certains « accommodements » du principe de laïcité à l’Ecole.

Ainsi, comme le signale le sondage, la majorité des professeurs de moins de 30 ans (62%, contre 34% des plus de 50 ans) soutiennent l’introduction de menus à caractère confessionnel (ex : viande halal, viande casher…) mais aussi le port de signes religieux ostensibles par les parents accompagnateurs lorsqu’ils font action d’enseignement (51%, contre 17% des plus de 50 ans). Par ailleurs, les enseignants de moins de 30 ans se distinguent également par une plus forte adhésion au port de vêtements traditionnels larges (41%, contre 13% des plus de 50 ans) ainsi à ce qu’on donne aux élèves du secondaire le droit de porter des couvre-chefs à caractère religieux (32%, contre 8% des plus de 50 ans).
De manière plus générale, l’adhésion à au moins un assouplissement des règles de laïcité en milieu scolaire – située en moyenne à 49% – s’avère beaucoup plus soutenue chez les enseignants les plus jeunes et proches de la gauche (ex : sympathisants LFI) ou ceux de confession musulmane (72%).

La mémoire de Samuel Paty malmenée

La « stratégie d’entrisme salafo-freriste » signalée au mois d’août dernier par le CIPDR (L’Express, 23 août 2022) semble réellement gagner du terrain et il conviendrait de s’en inquiéter autant pour les élèves que pour leurs enseignants. Le sort réservé à Samuel Paty et la mémoire du drame sont édifiants à cet égard : sa mort angoisse toujours une partie importante des enseignants, souligne l’étude. Ainsi, 47% appréhendent d’aborder les motifs de l’assassinat (chiffre qui est de 57% en REP) ou bien encore, pour 28% d’entre-eux, de travailler dans un établissement qui porte le nom de Samuel Paty (40% en REP). Présenter des caricatures de personnages religieux aux élèves reste une situation crainte par près de deux enseignants sur trois (62%).

Pour autant, si la consigne avait été passée par le ministère de l’Éducation nationale d’organiser pour les deux ans de la mort de Samuel Paty - en octobre dernier - un temps d’hommage au sein de chaque établissement, dans le sondage, seulement 61% des enseignants rapportent que cela a été fait dans le leur. Le chiffre tombe à 39 % pour les enseignants du privé.

Enfin, dans les établissements où un temps d’hommage a été organisé, des incidents ont été rapportés par un enseignant sur cinq (21%). Le chiffre s’établit même à 42% pour les enseignants en REP. Les raisons peuvent être de plusieurs ordres : des justifications religieuses, politiques ou culturelles des violences commises contre Samuel Paty (17%), des refus de participer à ce temps d’hommage (17% également) ou bien des injures/provocations émises à cette occasion (15%).
Deux ans après l’assassinat de Samuel Paty, l’étude révèle que les trois-quarts des enseignants (77%) estiment que le ministère de l’Éducation nationale n’a pas tiré les enseignements de ce drame et notamment « de la manière qu’à l’institution de gérer ces faits ».

Les signalements ne sont que la partie émergée du problème

En permettant de recenser l’ensemble des problèmes (y compris ceux qui ne sont pas signalés à l’administration), cette étude tend à montrer que les signalements recensés par les équipes du Ministère (ex : VALEREP) ne sont que la partie émergée de l’iceberg d’une poussée du religieux beaucoup plus large. L’étude met ainsi en évidence qu’une des clefs d’explication du nombre relativement limité d’atteintes à la laïcité rapporté par les équipes de Valeurs de la République (ex : 720 en octobre 2022) vient du fait qu’une part significative d’entre elles ne sont pas signalées par le corps enseignant à l’administration. En effet, révèle l’étude, près de la moitié des enseignants admettent que la dernière fois qu’ils y ont été confrontés, ils n’ont pas fait remonter à l’administration le cas d’élèves qui portaient dans leur établissement des couvre-chefs de nature confessionnelle (48%) ou encore des signes religieux ostensibles lors de sorties scolaires (47%).

Ainsi, selon ce sondage, une minorité significative du corps enseignant (10%) semble même avoir adopté une attitude complaisante non seulement en ne signalant pas le port de signes religieux ostensibles à leur administration mais aussi en ne demandant même pas aux élèves de les enlever…

Pour lire le sondage sur le site de l’Ifop, c’est ici !

Notice de l’étude : étude Ifop pour Ecran de Veille réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 25 octobre au 7 novembre 2022 auprès d’un échantillon national représentatif de 1 009 enseignants, représentatif de l’ensemble des enseignants de France.
Les données ont été redressées sur la base des variables suivantes : le sexe, l’âge, la région la taille d’unité urbaine, le degré d’enseignement, le secteur et l’académie. Les variables de quotas et de redressement ont été fixées à partir des données du ministère de l’Éducation nationale portant sur la population de enseignants issus de l’enquêter RERS 2022.

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