«On ne fait pas d’élection avec des prières »Proverbe québécois

 

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  • Publié le 27 octobre 2020

L’interdiction de la représentation du Prophète Mahomet

L’assassinat à Conflans-Sainte-Honorine de Samuel Paty, cet enseignant décapité au motif qu’il avait montré des caricatures de Mahomet en classe a rouvert le débat sur l’interdiction de représenter le Prophète de l’islam en vertu d’une loi sacrée. Les textes et l’histoire de l’art islamique sont moins catégoriques. Et si l’islam sunnite interdit et condamne le fait de dessiner, figurer, produire une image du Prophète Mahomet, l’islam chiite iranien, lui, ne l’interdit pas et fait même preuve de tolérance à l’égard des représentations du Prophète.

Dans les textes sacrés

Dans l’histoire de la religion musulmane, la représentation du Prophète Mahomet est intimement liée à celle de la représentation figurée dans son ensemble. Malgré quelques positions favorables à la production des images entre le IXe et le XIIe siècle de la part de personnages muʿtazilites [1], après Averroès [2] et la perte d’audience de la philosophie dans l’islam au profit de la mystique, les tenants du sunnisme considèrent que la révélation divine n’a pas à être soumise à la critique humaine. Leur réticence vis-à-vis de l’image s’appuient sur la sunna, un très large corpus distinct du Coran regroupant l’ensemble des paroles et actions du Prophète, les hadîths [3], mis par écrit entre le VIIIe et le IXe siècle. Certains hadîths y jugent la représentation de la figure humaine impure car elle détourne l’attention lors des prières, immodeste car elle revient à se prétendre l’égal du Créateur, et favorable à la pratique de l’idolâtrie qu’une extrapolation d’un verset du Coran [4] décrivant comme une abomination les « pierres dressées » (ansàb), susceptibles de représenter des idoles et de favoriser le polythéisme.

Mahomet à la Ka’ba. Peinture du Siyar-i Nabi, Istanbul, vers 1595. Comme souvent à partir du siècle, le visage de Mahomet est couvert d’un voile.

À des époques plus récentes, cette question a été revivifiée par la naissance de nouvelles idéologies religieuses, comme le wahhabisme au XVIIIe siècle, et l’irruption, à partir du XIXe siècle, des nouvelles techniques de l’image : photographie, puis cinéma et autres modes de captation et diffusion d’images en mouvement. Mais en dehors de cette doctrine ultra-orthodoxe, la plupart des théologiens, aux XIXe et XXe siècles, ont adouci la position initiale sur l’image. La même évolution est sensible en pays chiite. La pratique artistique étant néanmoins considérée souvent comme un luxe et un élément occidental, elle fait également l’objet de reproches et de méfiance de la part de radicaux comme Muhammad Qutb, un membre de l’organisation des frères musulmans, auteur en 1981 de La jâhiliyya au XXe siècle.
Dans tous ces cas de figure, dans le Coran et les hadîths, la figure de Mahomet n’est pas distincte des considérations générales sur la représentation de la figure humaine dans son ensemble.

Les représentations autorisées

Aujourd’hui, comme cela existe aussi dans le judaïsme ou le calvinisme, un consensus semble exister chez les sunnites et les chiites en faveur d’une absence de représentations de la figure humaine et animale, et donc, de celle du Prophète dans les lieux de prière sans empêcher les gens d’en avoir chez eux ou de les afficher dans la rue, dans l’espace profane. Dans les fait, non. De tels représentations constituent un interdit chez de nombreux sunnites. Seuls les chiites portent un regard plus positif sur la représentation de Mahomet, bien que de leurs théologiens soient unanimes pour en condamner la détention par un musulman à travers des fatwas contemporaines. Seule, une fatwa émise par le plus haut représentant de l’islam aux États-Unis actera le contraire en considérant que « la représentation du prophète n’est pas interdite, même si les musulmans ne le font pas ».

Représentation de Mahomet dans un manuscrit des Signes restants des siècles passés d’Al-Biruni. XVIIe siècle, copie d’un manuscrit du XIVe siècle.

Dans l’histoire de l’islam, si l’espace religieux (mosquée, Coran) est donc toujours aniconique, les représentations de personnages et d’animaux dans les peintures de manuscrits ou murales, sur des objets de métal, de céramique, de verre, d’ivoire, etc furent très nombreuses et firent la renommée de l’art et de l’esthétique en islam.
En ce qui concerne plus spécifiquement la représentation de Mahomet, il s’agit, avant le XIXe siècle, essentiellement de peintures présentes dans des livres. Ces livres peuvent avoir un caractère para-religieux (vie de Mahomet, histoire du miraj), historique (histoire universelle) ou poétique comme khamseh de Nizami par exemple. Ils sont produits en Iran, en Irak, en Inde, dans l’Empire Ottoman. Mahomet est systématiquement représenté auréolé de flammes, comme de manière plus générale les personnages religieux. Jusqu’au XVIe siècle, il est possible d’en avoir des représentations complètes, le visage visible ; mais dès le XVe siècle, les artistes ont de plus en plus tendance à voiler le visage ou à le laisser sans peinture. Parfois, la figure de Mahomet n’est qu’évoquée par signes : des empreintes de pas, des flammes, en particulier dans les peintures du Cachemire), la présence de Bouraq dans le miraj ou encore la simple mention de son nom.
Dans les terres d’islam, Dar al islam, les XIXe et XXe siècles ont vu apparaître de nouvelles images : des représentations plus publiques que celles de manuscrits, comme la fresque du mausolée d’Harun-e Velayat à Isfahan, ou des posters chiites.
Dans le monde occidental, ce sont les dessins et les caricatures qui vont représenter le Prophète au Danemark ou comme celles de « Charlie Hebdo ».

Photographie et cinéma

En 1988, en Arabie saoudite, le grand mufti wahhabite Abd al-Aziz ibn Baz publie un recueil de fatwas qui stipule que : « La représentation de tout ce qui a une âme, que ce soit un homme ou un animal, est interdite, que ce soit par le biais du dessin, sur tissu, par les couleurs ou la caméra ou tout autre instrument [...] et ceci en vertu de la majorité des hadiths qui en indiquent l’interdiction. »
La photo n’a pas été un média utilisé pour représenter Mahomet et au cinéma, la représentation du Prophète qui a toujours été aussi un tabou a donné lieu à quelques tentatives. La première tentative de le représenter au cinéma est égyptienne. Elle date des années 1920 et s’est tout de suite heurtée à la condamnation de la mosquée Al-Azar et au roi Fouad Ier qui avait menacé de déchoir de sa nationalité l’acteur qui incarnerait Mahomet. Le film n’a jamais été tourné.
La seconde tentative est le film de Moustapha Akkad sorti en 1976 sous le titre « Le message » (titre arabe : الرسالة – arrissala et en anglais : The Message. L’action prend place de l’année où le Prophète, âgé de 40 ans, prêche le Coran jusqu’à l’année de sa mort en 632.Tourné simultanément en anglais et en arabe, avec des acteurs principaux différents selon les versions, le film, conformément à l’aniconisme de la tradition islamique, ne montre jamais le Prophète. Sa présence est « évoquée », ou « suggérée » au spectateur, par le procédé de la caméra subjective. Le même traitement est appliqué à Ali ibn Abi Talib qui « apparaît » dans le film.
La dernière s’intitule Muhammad : The Messenger of God. Il s’agit d’un film historique iranien, réalisé par Majid Majidi, sorti en 2015 Le récit se déroule au cours du VIe siècle et présente le prophète de l’islam Mahomet, de sa naissance à l’âge de 13 ans. Le choix de la narration de l’enfance du Prophète permet de contourner l’interdiction tout en montrant au spectateur qu’il s’agit là d’un humain exceptionnel, qu’on attendait depuis longtemps...
Aujourd’hui des dessins animés racontant aux enfants les débuts de l’islam sont produits en Egypte. Ils ne représentent pas le Prophète et ses compagnons mais usent d’un narrateur ou de figures symboliques pour le faire.

[1Le mutazilisme fut autrefois un courant majoritaire de l’islam, notamment durant une période du califat abbasside. Aujourd’hui, qualifié de courant « libéral » de l’islam, il est peu représenté dans la communauté musulmane. Le mutazilisme rejette l’anthropomorphisme divin, réfute l’aspect incréé du Coran. Il met en avant le libre arbitre et l’usage des outils rationnels de la philosophie y est accepté.

[2Philosophe, théologien, juriste et médecin musulman andalou de langue arabe du XIIe siècle (1126 -1198)

[3Les « dits » du Prophète.

[4Sourate V, verset 90 : « Le vin, les jeux de hasard, les idoles sont des abominations inventées par Satan. Abstenez-vous en »

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