Cet article est en consultation libre
- Michel SEELIG
- Publié le 14 avril 2020
- Mise à jour: 17 avril 2020
Concordat... Concordataire...
À la fin du siècle dernier, le terme « Concordat » n’était plus guère utilisé (voire connu !) que par des juristes, des historiens, des spécialistes du droit local d’Alsace et de Moselle. Le centième anniversaire de la loi de Séparation du 9 décembre 1905 l’a vu réapparaître, modestement, dans la presse.
Mais, depuis lors, il est revenu à la mode ! On ne compte plus les articles, les déclarations de responsables politiques, qui parlent d’un concordat … il est vrai pour envisager le futur éventuel des relations entre l’État et un culte… l’Islam…
Il est donc nécessaire de relire ce texte que tout le monde évoque… sans, la plupart du temps, l’avoir lu !
Le Concordat de 1801
La reprise par les deux parties du terme déjà vieilli de concordat n’est pas anodine : comme le texte de 1516, celui de 1801 vise à clore une période de conflit entre la France et le Vatican. Et les deux traités, celui de François Ier comme celui de Bonaparte, confèrent au souverain les mêmes privilèges.
L’essentiel du Concordat de 1801 réside dans deux formules :
Le Gouvernement de la République reconnaît que la religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de la grande majorité des citoyens français. [Préambule]
Sa Sainteté reconnaît dans le premier Consul de la République française, les mêmes droits et prérogatives dont jouissait près d’elle l’ancien gouvernement. [Article XVI]
[Leur lecture éclaire le texte souvent mal compris de la loi de 1905 qui, dans son Article 2 dispose que « La République ne reconnaît… aucun culte.]
Du passé révolutionnaire récent, il est fait table rase… pour définir les relations entre l’Église et l’État, on revient de fait en 1789. Il est vrai cependant que pour effacer la parenthèse révolutionnaire, il est nécessaire de préciser un certain nombre de points, notamment la question matérielle qui pourrait fâcher : "Sa Sainteté, pour le bien de la paix et l’heureux rétablissement de la religion catholique, déclare que ni elle, ni ses successeurs, ne troubleront en aucune manière les acquéreurs des biens ecclésiastiques aliénés, et qu’en conséquence la propriété de ces mêmes biens, les droits et revenus y attachés, demeureront incommutables entre leurs mains ou celles de leurs ayant cause." [Article XIII]
La Constitution civile du clergé de 1790 avait provoqué un schisme au sein de l’Église de France, des clercs (curés, évêques, archevêques…) avait accepté de se soumettre et prêté le serment civique, d’autres l’avaient refusé. Par ailleurs, les anciens diocèses avaient été supprimés, les nouveaux prenaient le département comme assise territoriale, sans l’aval de la Papauté. Le Concordat permet de repartir sur de nouvelles bases :
"Il sera fait par le Saint-Siège, de concert avec le Gouvernement, une nouvelle circonscription des diocèses français."
"Sa Sainteté déclarera aux titulaires des évêchés français, qu’elle attend d’eux, avec une ferme confiance, pour le bien de la paix et de l’unité, toute espèce de sacrifices, même celui de leurs sièges."
"D’après cette exhortation, s’ils se refusaient à ce sacrifice commandé par le bien de l’église (refus néanmoins auquel sa Sainteté ne s’attend pas), il sera pourvu, par de nouveaux titulaires, au gouvernement des évêchés de la circonscription nouvelle…" [Articles II et III]
Il en est de même pour les paroisses :
"Les évêques feront une nouvelle circonscription des paroisses de leurs diocèses, qui n’aura d’effet que d’après le consentement du Gouvernement".
"Les évêques nommeront aux cures."
"Leur choix ne pourra tomber que sur des personnes agréées par le Gouvernement." [Articles IX et X]
L’État paye
Le clergé bénéficiera d’un certain nombre de prérogatives et d’avantages :
"Les évêques pourront avoir un chapitre dans leur cathédrale, et un séminaire pour leur diocèse, sans que le Gouvernement s’oblige à les doter."
"Toutes les églises métropolitaines, cathédrales, paroissiales et autres non aliénées, nécessaires au culte, seront mises à la disposition des évêques."
"Le Gouvernement assurera un traitement convenable aux évêques et aux curés dont les diocèses et les cures seront compris dans la circonscription nouvelle."
"Le Gouvernement prendra également des mesures pour que les catholiques français puissent, s’ils le veulent, faire en faveur des églises, des fondations." [Articles XI, XII, XIV et XV]
Le principe des conditions matérielles du culte est donc assuré : le maintien de la hiérarchie ecclésiale ; la formation des prêtres par l’Église elle-même ; l’usage des lieux de culte ; la prise en charge par l’État des besoins financiers, notamment la rémunération des clercs ; la possibilité pour les fidèles de contribuer à ce financement.
Tout ceci permet de mettre en œuvre le premier terme de l’article Ier : « La religion catholique, apostolique et romaine, sera librement exercée en France » puisque, le contentieux révolutionnaire est effacé et que l’État s’engage à payer !
Mais, pas d’avantage sans contrepartie ! Tous les aspects du culte sont soumis au contrôle de l’État, le second terme de l’article Ier le précise : « Son culte sera public, en se conformant aux règlements de police que le Gouvernement jugera nécessaires pour la tranquillité publique. »
Le Concordat pourrait ainsi se résumer en une formule : l’État paye… L’État contrôle !
L’État contrôle
Le Concordat n’entre dans aucun détail des « règlements de police » évoqués ci-dessus. Ils feront l’objet de textes complémentaires, les Articles organiques publiés l’année suivante, en 1802.
Le traité n’aborde qu’un aspect, il est vrai essentiel : le contrôle direct du clergé ! Cela passe par la nomination par l’État des principaux clercs :
"Le premier Consul de la République nommera, dans les trois mois qui suivront la publication de la bulle de sa Sainteté, aux archevêchés et évêchés de la circonscription nouvelle. Sa Sainteté confèrera l’institution canonique suivant les formes établies par rapport à la France, avant les changements de gouvernement.Les nominations aux évêchés qui vaqueront dans la suite, seront également faites par le premier Consul ; et l’institution canonique sera donnée par le Saint Siège, en conformité de l’article précédent". [Articles IV et V]
On retrouve là les dispositions du Concordat de François Ier : le choix des prélats appartient au souverain. La République voit ainsi se perpétuer le privilège unique dont disposait l’ancienne Monarchie.
Les clercs de tout rang s’engageront par un serment solennel à obéir en tous points aux autorités de la République, à être même de fidèles agents de la puissance publique :
"Les évêques, avant d’entrer en fonctions, prêteront directement, entre les mains du premier Consul, le serment de fidélité qui était en usage avant le changement de gouvernement, exprimé dans les termes suivants :« Je jure et promets à Dieu, sur les saints évangiles, de garder obéissance et fidélité au Gouvernement établi par la Constitution de la République française. Je promets aussi de n’avoir aucune intelligence, de n’assister à aucun conseil, de n’entretenir aucune ligue, soit au dedans, soit au dehors, qui soit contraire à la tranquillité publique ; et si, dans mon diocèse ou ailleurs, j’apprends qu’il se trame quelque chose au préjudice de l’État, je le ferai savoir au Gouvernement »."
"Les ecclésiastiques du second ordre prêcheront le même serment entre les mains des autorités civiles désignées par le Gouvernement." [Articles VI et VII]
Les clercs, les curés dans leur paroisse, rappellerons aux fidèles, à la fin de chaque office, que l’Église toute entière prie Dieu de bien vouloir protéger la République et ses chefs :
"La formule de prière suivante sera récitée à la fin de l’office divin, dans toutes les églises catholiques de France : Domine, salvam fac Rempublicam ; Domine, salvos fac Consules." [Article VIII]
Un régime concordataire
Nous avons ainsi, dans le désordre des articles, relu tout le texte du Concordat. Il apparaît clairement que n’y figurent que les grandes lignes de son principe, l’État paye – l’État contrôle. La mise en œuvre fait l’objet de textes unilatéralement publiés par le pouvoir politique, sans l’accord de l’Église. Les Articles organiques de 1802 entrent dans le détail de l’organisation de l’Église catholique.
Ils réaffirment notamment le caractère gallican du régime français, puisque même les aspects doctrinaux sont soumis au contrôle strict de l’État. L’article 3 précise par exemple que :
"Les décrets des synodes étrangers, même ceux des conciles généraux, ne pourront être publiés en France, avant que le gouvernement en ait examiné la forme, leur conformité avec les lois, droits et franchises de la République française, et tout ce qui dans la publication pourrait altérer ou intéresser la tranquillité publique".
Le copieux Titre II des Articles, sur les ministres, détaille le fonctionnement hiérarchique de l’Église de France, sous la tutelle de l’État.
La partie consacrée au culte traite de nombreux points techniques, la tenue vestimentaire des ecclésiastiques, la sonnerie des cloches, les registres de baptêmes, mais elle traite aussi du contrôle des sermons et autres prédications et même des dogmes et de la liturgie. Ainsi, l’article 39 affirme : "« il n’y aura qu’une liturgie et un catéchisme pour toutes les églises catholiques de France »".
Enfin, le document précise les modalités de la rémunération des ecclésiastiques, de leur logement (évêchés, presbytères et « jardins attenants »).
Il annonce aussi la création « des fabriques pour veiller à l’entretien et à la conservation des temples, à l’administration des aumônes ». Ce sera l’objet de l’important décret du 30 décembre 1809 concernant les fabriques des églises.
Des Articles organiques similaires sont également adoptés pour les cultes protestants, réformés et luthériens. Enfin, le Règlement des juifs, en 1806, et un décret impérial de 1808 organisent totalement le culte israélite.
C’est l’ensemble de ces dispositions que l’on nomme de manière générale le Régime concordataire.
Ce régime qui a connu des évolutions depuis le XIXe siècle fait toujours partie de la législation particulière appliquée en Alsace et en Moselle.
Le prochain article décrira la situation actuelle dans les départements du Rhin et de la Moselle et les arguments qui devraient permettre de mettre un terme à ce régime dérogatoire au droit général de la République.
Relire L’article précédent présentant les grandes lignes de l’histoire qui a conduit Bonaparte, Premier consul, à signer ce traité avec la Papauté, « tant pour le bien de la religion que pour le maintien de la tranquillité intérieure ».
Solidaires !
L’invasion de l’Ukraine par la Russie ne doit laisser personne indifférent !!! Outre les condamnations, en 2024, il faut continuer d’agir pour redonner et garantir son intégrité territoriale à l’Ukraine afin d’empêcher tout autre pays de suivre l’exemple terrible de "l’opération spéciale" russe.
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