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  • Publié le 3 juillet 2019
  • Mise à jour: 5 juillet 2019

Collèges : le respect de la laïcité est à l’aune du bon sens et de la fermeté des chefs d’établissements

Au moment où plus de 800 000 élèves viennent de passer les épreuves du Brevet 2019 qui sanctionnent une étape importante de leur scolarité, nous poursuivons notre exploration de la laïcité en milieu scolaire où chacun, en pointant du doigt le manque de mixité sociale dans les établissements, s’accorde désormais sur une extension de la pratique religieuse à l’école.

En Seine-Saint-Denis, le taux de réussite du DNB 2017 a été de 85,14 % (contre 87,00 % au niveau académique et 89,90 % au niveau national). Le taux de mention a été de 63,58 % (contre 66,46 % pour l’académie et 71,70 % au niveau national). L’examen des résultats démontre que le taux de réussite est étroitement lié à la catégorie sociale de l’élève. Ainsi la quasi totalité des enfants issus d’un milieu très favorisé (97 %) obtiennent en effet leur diplôme, contre moins de 80 % des enfants issus d’un milieu défavorisé. Lors de cette rentrée de 2017, les 125 collèges publics et 25 collèges privés avaient accueilli 85 565 élèves dont 62 % relevaient de l’Éducation prioritaire.
La directrice d’un collège de plus de 600 élèves et de 30 classes dont une section SEGPA [1] situé en Réseau d’Education Prioritaire (REP), nous a confié qu’à son arrivée, il y a 5 ans, 72 % d’élèves de son établissement appartenaient aux CSP défavorisées et seulement 40 % d’entre eux étaient boursiers. Cet écart très important de 32 points, qu’elle s’est efforcée de combler pour atteindre aujourd’hui 58 % de boursiers, tient selon elle à la grande pauvreté qui caractérise certaines villes du département et touche une population dont la dignité est un frein à la sollicitation des aides.
En effet, le fait que certaines villes se ghettoïsent favorise un conformisme social qui se manifeste de façon visible dans la sphère religieuse. Des parents, des jeunes, des élèves sont poussés pour appartenir au groupe majoritaire et vont se mettre à pratiquer.

Laïcité à l’école, un problème de mixité sociale ?

En fait le problème est bien connu, il s’agit du manque de mixité sociale dans certains quartiers et donc dans certains établissements scolaires. Lorsqu’une concentration d’élèves partageant les mêmes difficultés et à fortiori les mêmes convictions apparait, le problème se noue. Au point qu’aujourd’hui, dans ces établissements il soit très compliqué face à des élèves de parler de certains sujets. Et on y constate que la religion fait entièrement partie de leur vie, c’est un socle sur lequel ils s’appuient et qui est structurant pour eux.
Nous nous sommes rapprochés d’une cheffe d’établissement en collège qui exerce depuis plus de 10 ans dans le 93. Cette Directrice, que nous appellerons J.R, constate aussi ces dernières années l’extension de la pratique religieuse dans une vision plus rigoriste et stricte. En 11 ans d’expérience explique-t-elle, «  je vois que le ramadan est de plus en plus suivi y compris par les plus jeunes 6ème et 5ème qui n’ont pourtant pas atteint l’âge de la puberté. C’est choquant y compris pour nos personnels d’origine maghrébine qui nous rappellent qu’à leur arrivée en France, ils ne portaient pas le voile, ni ne faisaient le ramadan. Ils sont dans une grande incompréhension devant l’avancée de ces pratiques ». Mais si le collège fait face à des cas problématiques, notre Directrice refuse de parler de dérive car dit-elle :« nous restons fermes sur le principe de la laïcité ».

Nourriture hallal et ramadan, la fermeté

Mais il en va pas de même dans d’autres collèges publics. Loin s’en faut. Le 22 juin dernier, notre confrère Le Point révélait comment dans un formulaire adressé aux parents d’élèves, l’administration du collège public du Fort à Sucy-en-Brie, dépendant de l’Académie de Créteil, demandait aux familles dont les enfants font le ramadan de se manifester pour bénéficier sur la facture de cantine d’une « remise exceptionnelle au titre de la pratique d’un jeûne cultuel ». Cette initiative contraire au principe de la laïcité répondait-elle à un souci de gestion ? Il est vrai que dans certains établissements l’absentéisme à la cantine durant cette période peut prendre des proportions importantes comme nous l’indique notre interlocutrice : « dans mon collège, cette année, durant le ramadan, le nombre de demi-pensionnaires est passé de 520 à 300 ».
Facteur d’exclusion et d’absentéisme, la pratique du ramadan renvoie au problème du hallal et à la présence de viande de porc dans les menus des cantines scolaires. Très souvent, la réponse au problème consiste à éliminer radicalement des cuisines centrales des départements tout plat contenant de la viande de porc. C’est la solution adoptée par le Département de la Seine-Saint-Denis qui « est assez ferme sur le problème ou croit l’être » estime notre Directrice de collège dont l’établissement à sa propre cuisine et où l’on ne veut pas céder à cette « solution de facilité ». Les menus y sont donc composés et préparés sur place et proposent toujours une alternative : « Nous ne nous interdisons rien. Nous mettons du jambon fumé dans nos entrées, tout comme nous réduisons l’utilisation de viande pour concevoir des repas végétariens qui conviennent à tout le monde. Nous proposons également beaucoup de poisson et savourons parfois avec plaisir du petit salé aux lentilles ! Quant aux demandes de plateaux-repas hallal : j’ai toujours dit non, hors de question ! ». D’un autre côté, le contraire eut été une façon pour l’établissement d’encourager la pratique religieuse.

Un climat de travail alourdi

La question se pose sur la loi de 2004 – Est ce que l’on a pas loupé quelque chose ? Est-ce que l’on a été assez clairs sur le principe de la laïcité qui reste incompris et qui est vu, notamment par les musulmans, comme un principe opposé à la religion ? C’est dans ces termes que notre cheffe d’établissement interroge son quotidien et le problème général de l’accroissement de la manifestations des signes religieux et du changement des comportements dans son établissement.
Pour elle, le tournant se situe en 2012, au moment de la minute de silence observée après les attentats de Mohamed Merah et l’attaque de l’école juive. Si l’inquiétude de l’équipe enseignante avait été grande vis à vis du texte et de l’attitude des élèves, l’incident notable et révélateur selon elle, fut celui de la vive critique d’une élève de 3ème (qui venait voilée au collège alors que sa mère ne portait pas de hijab) adressée à la fin de la minute de silence, au motif du « pourquoi seulement les enfants juifs et pas les enfants palestiniens où même encore les victimes du récent accident de car dans un tunnel ? ». Le phénomène aurait ensuite continué à prendre de l’ampleur avec l’affaire des caricatures de Mahomet et la minute de silence de l’attentat de Charlie-Hebdo que des élèves ont ouvertement refusé de respecter sous prétexte que l’on n’a pas le droit de représenter le prophète. Parmi ses élèves, certains étaient au stade de France lors des attentats de 2015 et ils sont toujours traumatisé tout comme l’avaient été ceux qui se trouvaient dans le périmètre de sécurité établi à Saint-Denis lors de l’assaut des caches des terroristes, le mercredi suivant les attentats. Des moment très tendus, se souvient-elle, avec beaucoup d’émotions dans le personnel et chez les parent d’élèves qui avaient peur d’envoyer leurs enfants à l’école. La communauté musulmane dit-elle, a pris soudainement conscience qu’elle-même pouvait devenir une victime des actions des extrémistes, mais cela n’a pas stoppé pour autant l’insistance de la revendication religieuse ostensible ou plus discrète. Et de donner comme exemple le port de robes longues et sombres provoquant des questions du type «  pourquoi vous autorisez les robes longues à fleur et pas les robes sombres et unies, ? ». Même dans le personnel, les transformations existent. En trois ans une pimpante CPE se mue en une silhouette austère et sombre qui s’éclipse à la coupure pour aller prier à la mosquée. La femme de ménage oublie d’enlever le foulard tenant ses cheveux une fois le service terminé et l’arbore dans la cour du collège. Des tapis sont cachés dans les salles des agents pour la prière du vendredi,...Tout cela crée un lourd climat de surveillance voire « de flicage » dans les collèges regrette-t-elle.

Le dialogue avec les parents, manifester du bon sens

Un climat qui nuirait au dialogue et à l’interaction entre les personnels du collège et les parents d’élève qui sont pourtant essentiels pour résoudre les difficultés de scolarité. Mais les rencontres et les discussions avec les parents d’élèves réservent parfois de bonnes surprises comme de très désagréables. En ce qui concerne les bonnes, notre Directrice se souvient du cas de cette jeune élève dont le père ne voulait pas qu’elle aille à la piscine. Il voulait une exemption, mais nous n’avons pas cédé et avons arrangé une discussion entre le père de la jeune fille et un délégué des parents d’élèves de même origine qui a su le convaincre que sa fille devait comme les autres apprendre à nager.
Mais notre Directrice évoque aussi des rencontres éprouvantes avec des pères d’élèves ou des grands frères de confession musulmane traditionaliste qui refusent de lui serrer la main : cela s’est produit trois fois en 11 ans ; une fois en 2012 et deux fois récemment en septembre 2018 et je l’ai vécu avec un sentiment très douloureux de rejet avoue-t-elle en ajoutant que si en 2012 elle avait réussi avec le sourire à ce que le père d’un jeune de 5ème lui serre finalement la main, en 2018 cela s’est avéré impossible malgré sa démonstration du racisme que représente ce geste de refus de serrer la main d’une femme.
Si globalement, constate-t-elle, il y a plus de problèmes dans nos établissements scolaires de Seine-Saint-Denis que dans le reste de l’Île-de-France, certains en sont pourtant exempts. Ceci repose sur les Chefs d’établissement, sur leur bon sens, leur fermeté vis à vis du principe de laïcité et leur qualité de dialogue ;« Personnellement, je dialogue mais je ne me suis jamais laissé intimidée » conclut-elle.

[1SEGPA (Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté) : Les SEGPA font partie intégrante des collèges, en termes de gestion administrative et pédagogique, et s’adressent aux élèves relevant de l’enseignement général et professionnel adapté (EGPA) définis par la circulaire n° 2015-176 du 28 octobre 2015, comme ’présentant des difficultés scolaires graves et persistantes auxquelles n’ont pu remédier les actions de prévention, d’aide et de soutien’. Chaque section SEGPA a au moins une classe par niveau de 6e à 3e. L’effectif est réduit et le rythme plus lent - Placé sous l’autorité du chef d’établissement, son directeur et les professeurs sont des enseignants spécialisés.

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