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- Publié le 7 mars 2024
Loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : pour le Sénat tout reste à faire
La commission des lois du Sénat s’est penché sur 3 ans d’application de la loi loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Ce jeudi 7 mars 2024, au terme de ses travaux rapportés par les sénatrices Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien, elle aboutit à un constat paradoxal : les dispositions les plus utilisées de cette loi ne le sont pas pour lutter contre le séparatisme religieux, quant aux autres, elles s’avèrent particulièrement difficiles à déployer efficacement sur le terrain.
Trois ans après son entrée en vigueur de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (« loi CRPR »), pour la commission des lois du Sénat le bilan est encore loin d’être concluant.
Ainsi, si certaines dispositions de la loi CRPR se sont effectivement avérées utiles – bien qu’inégalement appliquées sur le territoire et parfois pour d’autres finalités que celles initialement envisagées (ainsi les dispositions destinées à la lutte contre la haine en ligne ou celles relatives à la dissolution d’association) – pour les deux rapporteures, force est de constater que la plupart d’entre elles n’ont pas été suivies d’effets dans la pratique ou n’ont pas atteint le but qui leur avait été assignée. C’est en particulier, souligne le rapport, le cas des règles applicables aux associations qui ont paradoxalement trouvé à s’appliquer de manière indiscriminée à la quasi-totalité des associations françaises, lesquelles ont parfois pu se sentir stigmatisées, à l’exception de celles qui, plus sujettes au séparatisme, ont opté pour une posture discrète leur permettant de se soustraire à ces nouvelles obligations. C’est notamment le fait du contrat d’engagement républicain, dont la signature conditionne l’octroi et le retrait (en cas de non-respect) des subventions publiques aux associations ainsi que de l’obligation de reconnaissance préalable du caractère cultuel des associations qui devaient permettre de mettre en œuvre une philosophie simple : « gentil avec les gentils, méchants avec les méchants », selon les mots du ministre de l’intérieur. « Ils se sont finalement traduits par des nouvelles obligations administratives pour les gentils et une remarquable liberté pour les méchants » regrette le rapport.
Trop technique, insiste le Sénat, le texte a créé des procédures soit lourdes et inégalement maîtrisées par les services de l’État comme en matière de reconnaissance du caractère cultuel d’une association, soit purement formelles comme pour l’adhésion au contrat d’engagement républicain, noyée au milieu d’un formulaire Cerfa. Dans les deux cas, relève le rapport, ces mesures ont entraîné une dégradation nette des relations avec le monde associatif et les cultes qui se sont sentis stigmatisés.
Objectifs irréalistes pour la formation à la laïcité
La commission a également pointé le caractère irréaliste de l’objectif de formation de tous les agents à la laïcité d’ici 2025, malgré les progrès accomplis, et l’insuffisante appropriation des nouvelles règles par les collectivités territoriales. Les rapporteures estiment que l’objectif de formation de 100 % des agents d’ici à décembre 2025 est hors de portée. Si elles concèdent que l’on peut se féliciter du volume important d’agents formés (505 000), celui-ci ne représente que 10 % des effectifs de la fonction publique. L’appropriation de cette obligation par les collectivités territoriales semble, elle, plus laborieuse. À titre d’exemple, indique le rapport, seules 3 communes iséroises sur 512 s’y étaient conformées fin 2022.
Quant aux 17 000 référents laïcité, dont 14 000 au ministère de l’éducation nationale, s’ils sont de plus en plus nombreux, ils restent insuffisamment identifiés selon le rapport. En conséquence, les rapporteures préconisent de créer dans chaque fonction publique un collège sur le modèle du collège des sages de la laïcité constitué au sein de l’éducation nationale, chargé d’animer le réseau des référents laïcité, de suivre les formations organisées et de centraliser la remontée du nombre de saisines et les éventuelles questions posées.
Collectivités : une appropriation lacunaire de leurs nouvelles obligations
L’application des dispositions de la loi CRPR intéressant les collectivités territoriales est encore imparfaite. Les travaux des rapporteures ont mis en évidence d’importantes disparités dans l’appropriation de cette loi par les élus. En sus de la question de la désignation des référents laïcité, il est notamment possible de citer :
L’article 7 rendant obligatoire l’avis du préfet sur les projets relatifs à des constructions destinées à l’exercice du culte : ce dispositif, dont la portée a été récemment précisée par le Conseil d’État, est de l’avis général encore mal identifié par les collectivités territoriales, ce qui a justifié un renforcement de l’information par les préfectures. À l’été 2023, le préfet de la Seine-Saint-Denis avait été saisi 6 fois sur ce fondement et celui de l’Isère 3 fois ;
• - L’article 70 qui prévoit l’information du préfet de la garantie par une collectivité d’un emprunt contracté pour la construction d’un lieu de culte : l’administration n’a pas été en mesure de fournir de données chiffrées sur l’application de cette disposition, qui n’a jamais trouvé à s’appliquer dans les préfectures auditionnées (malgré l’envoi d’un courrier d’information par le préfet en Isère).
S’agissant de l’obligation de respect des principes de neutralité et de laïcité par les élus municipaux officiant en tant qu’agents de l’État, telle que codifiée par l’article L. 2122-34-2 du CGCT, le rapport reconnait qu’elle ne suscite en revanche pas de difficultés particulières tout en indiquant que le dispositif de contrôle de l’action des collectivités, l’article 5 de la loi CRPR, est sous-utilisé. Avec cet article le législateur a souhaité créer une nouvelle voie de droit pour mieux contrôler le respect du principe de laïcité par les collectivités territoriales. C’est le « déféré laïcité ». Une procédure qui, selon le rapport sénatorial, demeure largement théorique : elle n’a été mobilisée avec succès qu’en Isère pour suspendre l’application d’une délibération du conseil municipal de Grenoble portant modification du règlement intérieur des piscines municipales. Le préfet de la Seine-Saint-Denis en a également fait usage à l’encontre d’une délibération autorisant la cession d’un terrain communal au bénéfice d’une association cultuelle à un prix considéré trop faible, mais a été débouté de sa demande, indique encore le rapport. Les rapporteures ne peuvent que regretter que les préfectures se soient insuffisamment emparées de cet outil. Elles appellent à intégrer pleinement les atteintes à la laïcité aux priorités prises en compte dans le contrôle de légalité et à systématiser le recours au « déféré laïcité » en présence d’un acte problématique.
Sur le modèle des sous-préfets à la relance, elles suggèrent de désigner dans chaque département d’un sous-préfet chargé des missions relatives aux valeurs de la République et au lien avec les associations cultuelles et de nommer un sous-préfet exclusivement dédié à cette tâche lorsque le contexte départemental le justifie.
Une mise en conformité des associations cultuelles en deçà des objectifs
L’article 69 de la loi CRPR constitue une évolution majeure des relations entre l’État et les cultes en imposant une reconnaissance préalable obligatoire du caractère cultuel des associations qui souhaitent relever du statut prévu par la loi de 1905. L’article 88 entraînait l’obligation de déposer ce dossier de cultualité avant le 30 juin 2023 pour les associations constituées avant le 25 août 2021.
Cette mesure était centrale au projet de loi. Elle avait un double objectif. Le premier était de police administrative : s’assurer que les avantages fiscaux et financiers liés au statut d’association cultuelle ne bénéficient pas à des officines séparatistes. Le second, plus essentiel, était de favoriser la restructuration du culte en France en utilisant les dispositions combinées des articles 69 et 732 de la loi pour inciter à la transformation des associations mixtes, privilégiées par les nouvelles spiritualités et le culte musulman, en associations relevant de la loi de 1905.
Le rapport indique que les résultats obtenus, au prix d’importantes difficultés administratives, ne sont pas à la hauteur des attentes. Sans entraîner, au moins pour le moment, de bascule vers le régime de 1905, la nouvelle procédure de déclaration préalable a essentiellement conforté le sentiment de défiance des cultes, cette impression étant même partagée désormais par ceux qui étaient les plus engagés dans l’élaboration de la loi. Les chiffres communiqués aux rapporteures font état de plus 3 000 associations actuellement reconnues ou dont le dossier est en cours d’instruction, dont 300 relevant du culte musulman. Or il existait préalablement à la loi de 2021 environ 5 000 associations cultuelles (les plus nombreuses étant les protestantes).
Les auditions conduites par les rapporteures leur ont permis de constater le traitement très disparate selon les préfectures des procédures de déclaration préalable et une multitude d’obstacles administratifs liés à l’impréparation des préfectures, sans doute faute d’information et de formation. Cela a abouti à des demandes non conformes à la loi, comme la convocation de ministres des cultes par la police ou la demande de signature des contrats d’engagement républicains. La méconnaissance des spécificités des associations cultuelle a aussi pu entraîner des incompréhensions, comme la demande de modification par certaines préfectures du statut des associations diocésaines qui leur était soumis, alors que ceux-ci sont définis par un accord international. La charge administrative pesant sur les membres des associations s’est donc révélée particulièrement pesante, ainsi que l’avait anticipé le Sénat lors de la discussion du texte. Selon le rapport, la difficulté pour les bureaux en charge des cultes au sein des préfectures à faire face à l’afflux des demandes (plus de 1 800 dossiers instruits entre début 2022 et juin 2023 plus de 1 200 nouvelles demandes entre juin 2023 et février 2024) s’est traduite dans de nombreuses instances, partout sur le territoire, par des délais particulièrement longs pour obtenir l’attestation de qualité cultuelle que l’association est en droit de demander.
Ainsi que le Sénat l’avait adopté en 2021, les rapporteures souhaitent donc que le renouvellement de la reconnaissance du statut cultuel des associations puisse se faire par tacite reconduction suite à la réception des demandes, les préfectures conservant la possibilité de soumettre à nouveau l’association à la procédure de déclaration.
Interrogations autour du forum de l’islam de France (FORIF)
Parallèlement à l’adoption de la loi du 24 août 2021, le Président de la République avait souhaité relancer le dialogue avec le culte musulman et rompre avec une « personnalisation trop forte » des structures précédentes (CFCM), dans l’« objectif de faire aboutir concrètement des projets portés par des acteurs de terrain et de faciliter la structuration d’un Islam de France, émancipé des ingérences étrangères et de l’entrisme de ceux qui s’opposent à la République et sont des propagateurs de haine ». Lancé en février 2022 au palais d’Iena, réuni au Palais de l’Élysée en février 2023 et au ministère de l’intérieur en février 2024, le FORIF est une structure dont le devenir interroge les rapporteures. Constitué de groupes de travail, le forum se voit appelé par l’État à se pencher sur des sujets d’une particulière importance, les violences anti-musulmanes ou le statut des imams par exemple. Il doit même être le porteur d’un projet de fédération des associations musulmanes, selon le souhait de ministre de l’intérieur formulé lors de son discours du 26 février dernier. Pourtant, comme l’indique le ministre, le FORIF est une méthode et non une structure ; ni sa composition, ni les modalités de participation de ses membres ne sont connues, malgré des demandes répétées. Sans minimiser l’intérêt des travaux qui peuvent être conduits par les groupes de travail du FORIF, la transition d’une méthode fluide vers une fédération solide est un défi qui appelle plus de transparence de la part de l’État. Les rapporteurs souhaitent donc que la composition du FORIF soit rendue publique dans les meilleurs délais.
Législation sur les cultes : des dispositions essentiellement cosmétiques ?
La police des cultes a pour objet de garantir le respect de l’ordre public dans le cadre des pratiques religieuses. Elle revêt plusieurs aspects, également importants aux yeux du Sénat. Or si la police des lieux de culte a été mise en oeuvre, les mesures relatives aux ministres des cultes ou aux pressions religieuses n’ont pas trouvé à s’appliquer notamment en ce qui concerne la fermeture des lieux de culte (article 87 de la loi CRPR) qui donne au préfet la possibilité de prononcer la fermeture temporaire des lieux de culte où les propos tenus, les idées ou théories diffusées, les activités menées, provoquent à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes ou tendent à justifier ou à encourager cette haine ou cette violence. La mesure de la loi CRPR permet de prévoir la fermeture de lieux de cultes où est prôné le séparatisme sans avoir à se fonder sur les dispositions existantes en matière de terrorisme ou sur les dispositions techniques relatives aux établissements recevant du public. Lors de son audition par la commission des lois du Sénat le 27 février dernier, le ministre de l’intérieur a évoqué 18 fermetures intervenues depuis la fin de l’état d’urgence sanitaire grâce à la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (Silt) de 2017, puis à la loi confortant le respect des principes de la République. Il a fait état de sa satisfaction sur le fonctionnement de la mesure en indiquant que sa limitation à deux mois renouvelables n’était pas pour lui un obstacle pratique : en effet, « lorsque nous fermons le lieu de culte, c’est pour faire le ménage au sein de l’association. Cela fonctionne très bien » a indiqué le ministre à la commission ajoutant « Dans le cas très précis d’une mosquée en banlieue parisienne, j’ai même anticipé la réouverture, car l’association a pris des décisions telles que se séparer de l’imam, mettre fin à des financements et changer de président ».
Autre mesure passé à la loupe par le Sénat, ’article 68 de la loi CRPR ou la clause « anti putsch » qui a fait évoluer les règles de fonctionnement des associations relevant de la loi de 1905 vers plus de démocratie ; ce qui, indique le rapport, a été salué par les représentants des cultes entendus lors des auditions des rapporteures. Mais à l’usage, tant les représentants de cultes que les services de l’État ont pointé le faible nombre de situations dans lesquelles cette mesure avait pu utilement s’appliquer. Il apparaît, que sans pouvoir éviter la prise en main des associations par des éléments extrémistes, la clause ne permet pas non plus de remédier aux putschs s’ils surviennent. Il est donc proposé de réfléchir à une évolution de cette disposition afin de clarifier la possibilité pour le préfet de refuser l’enregistrement des actes problématiques.
Les rapporteurs ont également pu constater que la justice est très peu saisie des questions relatives à la police des cultes et que les mesures prises ne trouvent quasiment pas à s’appliquer. On peut bien sûr penser que le nombre de cas où les infractions seraient constituées est réduit. Mais il se peut aussi que le traitement administratif soit privilégié dans les procédures contre les ministres des cultes. Les rapporteures craignent également des pressions exercées pour qu’une personne pratique une religion ne soient trop souvent négligées, spécialement dans le cadre familial.
Il est donc recommandé par la commission des lois qu’une circulaire conjointe des ministres de l’intérieur et de la justice encourage la judiciarisation des infractions à la police des cultes afin d’éviter un traitement purement administratif de ces questions ; que soit intégrée à l’article 31 de la loi de 1905 l’aggravation des peines voulue par le Sénat dans le cas où un membre de la famille force la participation à un culte.
18 recommandations de la commission des lois
Dans son rapport la commission des lois du Sénat a formulé 18 propositions ou recommandations, reprenant certaines des dispositions clefs du Sénat rejetées lors de l’examen de la loi du 24 août 2021 par le Gouvernement et l’Assemblée nationale, afin de la rendre plus opérationnelle et mieux à même de lutter contre le séparatisme. Ces recommandations concernent des domaines relevant de la commission des lois au nom de laquelle le rapport a été présenté. Elles ne portent donc ni sur le domaine de l’école ni sur celui du sport. Voici les principales recommandations qui figurent dans le document « L’essentiel sur …. » le rapport d’information de la commission des lois su Sénat sur l’application de la loi CRPR.
Les principales recommandations pour garantir le respect des principes de la République
- Prévoir pour chaque fonction publique un collège sur le modèle du collège des sages de la laïcité constitué au sein de l’éducation nationale, chargé d’animer le réseau des référents laïcité, de suivre les formations organisées et de centraliser la remontée du nombre de saisines ;
- Intégrer pleinement les atteintes à la laïcité aux priorités prises en compte dans le contrôle de légalité et systématiser le recours au « déféré-laïcité » en présence d’un acte problématique ;
- Envisager la désignation dans chaque département d’un sous-préfet chargé des missions relatives aux valeurs de la République et au lien avec les associations cultuelles. Nommer un sous-préfet exclusivement dédié à cette tâche lorsque le contexte départemental le justifie ;
- Faire du contrat d’engagement républicain un document indépendant de la demande de subvention, afin de mieux traduire l’engagement consenti par l’association. ;
Les principales recommandations pour accélérer la réforme de l’organisation des cultes :
- Pérenniser le dialogue entre les cultes et le ministère de l’intérieur afin d’identifier les difficultés liées au statut, de trouver les solutions adaptées et de diffuser le plus rapidement les textes réglementaires et les meilleures pratiques ;
- Conformément à la disposition adoptée par le Sénat lors de la discussion du projet de loi introduire plus de souplesse lors du renouvellement des demandes des associations dont la qualité cultuelle aura déjà été reconnue pour une première période de cinq ans ;
- Publier dans les plus brefs délais la composition du FORIF ;
- Encourager par le biais d’une circulaire conjointe des ministres de l’Intérieur et de la Justice la judiciarisation des infractions à la police des cultes afin d’éviter un traitement purement administratif de ces questions.
Solidaires !
L’invasion de l’Ukraine par la Russie ne doit laisser personne indifférent !!! Outre les condamnations, en 2024, il faut continuer d’agir pour redonner et garantir son intégrité territoriale à l’Ukraine afin d’empêcher tout autre pays de suivre l’exemple terrible de "l’opération spéciale" russe.
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