«On ne fait pas d’élection avec des prières »Proverbe québécois

 

Projet de loi confortant le respect des principes républicains : les élus locaux seront-ils écoutés ?

Les représentants des associations d’élus locaux auditionnés à l’Assemblée nationale sur le projet de loi « confortant le respect des principes républicains », seront-ils écoutés ? Entendus le 6 janvier dernier, ils ont multiplié les mises en garde et les demandes d’amélioration pointant les ambiguïtés d’un texte pourtant qualifié « d’attendu » et « d’urgence » par le président de l’AMF.

« Un texte attendu et espéré et donc très regardé par les maires » a d’emblée prévenu le président de l’AMF, François Baroin, lors de l’audition des associations d’élus par l’Assemblée nationale le 6 janvier dernier. Le projet de loi « confortant le respect des principes républicains » est un texte « d’urgence comme le fut la mise en place de la commission Stasi et la loi de 2004 », car il y a « une dégradation quelques soient les communes et les territoires », souligne-t-il. Un constat que tous les élus présents partagent mais sans pour autant donner un blanc-seing au projet, loin de là.

Islam radical et laïcité les deux oublis problématiques du projet

« J’aurai aimé que des mesures soient prises et que le texte s’attaque à la question sociale » regrette Johanna Rolland, présidente de France Urbaine, « le texte répond à des mesures d’urgence mais ce qui m’inquiète, c’est l’écart qui existe entre les millions de français qui ne sont pas séparatistes et ce texte » poursuit-elle en avertissant « les limites de la loi ce sont ceux qui doutent de la république affichée et de la république vécue et de tout ce qui les sépare. Il ne faut pas se contenter de mots ». Et de mots, le texte en a oublié au moins deux et pas des moindres au sens des objectifs du projet. Le président de l’AMF souligne ainsi l’oubli de la mention « islam radical », et déplore du même coup celui du mot « laïcité » qui ne figure pas parmi les obligations du contrat d’engagement républicain instituées par l’article 6. « C’est une valeur et une règle » fait-il remarquer aux députés « ne pas la mettre c’est un problème ». De quoi interroger le sens de la loi résume la présidente de France urbaine qui interroge : « De quel principes parle-t-on ? » pour cibler la mise en cause de la laïcité par le projet « dont le sujet, la lutte contre une idéologie, met de côté les libertés publiques notamment par son article 18 » déplore-t-elle.

Davantage de soutien de l’État ou un peu plus sous son contrôle ?

Des libertés, il en a été question tout au long de cette audition. Car même si avant l’examen du projet de loi, les élus sont montés au créneau pour le débarrasser de certaines dispositions comme le déféré-suspension de l’article 2, réécrit, et obtenir, s’est félicité Sébastien Martin, président de l’AdCF, le retrait de deux articles contenant des dispositions prévoyant de légiférer par ordonnance en matière de logement social, les représentants des associations d’élus locaux restent mobilisés et vigilants sur le partage des compétences Etat/collectivités.
Tout à son affaire, en tant que représentant des maires de France, François Baroin s’est employé à tracer les lignes à ne pas franchir. Ainsi à propos de l’ordre public (faisant référence aux engagements de l’article 6) il a clairement réaffirmé que celui-ci relevait de l’État et non des communes, indiquant : « en matière de sécurité les maires ne sont pas là pour remplacer l’État mais pour l’aider, notre rôle est la remontée d’information ». Et d’ajouter qu’avec le Titre II du projet de loi et le libre exercice du culte « nous avons un autre sujet car la surveillance des cultes est du ressort de l’État et du ministère de l’intérieur » illustrant cet autre avertissement d’une de ses expressions favorites « À chacun son métier et les vaches seront bien gardées ». Pour autant, le maire de Troyes n’entend pas que les élus locaux soient exclus du dispositif. Il réclame à nouveau le signalement des gens fichés : « les maires doivent être informés de ce qui se passe sur leur territoire et connaître les gens fichés ». Même son de cloche chez France Urbaine où à propos des CLIR [1], Johanna Rolland constate qu’il y a encore beaucoup à faire dans le partage des informations.
Symptôme de la défiance de l’État envers les collectivités et leurs élus, le partage des fichiers est pourtant un outil de la protection des collectivités et de leurs publics : usagers et employés. Alexandre Touzet, vice-président du conseil départemental de l’Essonne, représentant l’ADF regrette d’autant plus un partenariat État /collectivités « pas assez fort » dans ce domaine. Il redoute particulièrement la radicalisation des agents, et particulièrement de ceux en contact avec les jeunes (protection de l’enfance, protection spécialisée, restauration scolaire, etc.). Déplorant un « criblage » des agents « limité au fichier FIJAIS [2] qui ne donne accès qu’aux condamnations », il revendique l’accès au fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).
Sébastien Martin, président de l’Assemblée des communautés de France (AdCF) fait remarquer que « Le texte a été suscité par l’émotion qui a suivi l’assassinat de Samuel Paty et le discours des Mureaux », mais insiste-t-il « il doit s’inscrire dans une stratégie globale afin de renforcer la relation entre bloc local / État / acteurs de terrain, et pour cela il faut aussi renforcer la formation des élus ».
Enfin autre sujet d’inquiétude pour ces élus locaux, l’article 32 du projet de loi qui vise à retirer aux collectivités leur droit de préemption sur les donations faites à des organisations cultuelles. Une « idée saugrenue » largement dénoncée, un article « sans rapport avec le projet de loi » estime Johanna Rolland, la présidente de France Urbaine. Le maire de Troyes y voit, quant à lui, « une nouvelle tentative d’un centralisme étatique à l’œuvre depuis 1982 ».

La vie associative sous contrôle

Face aux dispositif plutôt répressifs du texte, les élus auditionnés ont unanimement plaidé la nécessité de renforcer la formation tant des élus que des agents, voire même pour les responsables d’associations et d’entreprises qui se voient confier ou déléguer des missions de service public. François Baroin préconise même de la rendre obligatoire pour leurs dirigeants.
Des dirigeants d’associations dont le financement sera désormais conditionné à la signature d’un contrat d’engagement républicain mais dont le contenu n’est pas précisé dans le texte, relèvent les élus. Sébastien Martin, (AdCF) s’interroge : « dans nos des collectivités nous avons des assemblées délibérantes qui attribuent les subventions aux associations. Ce contrat d’engagement républicain, institué par l’article 6 vient se rajouter et se superposer à ce dispositif de prise de décisions qui se réfèrent à ce que nous connaissons déjà des activités des demandeurs ; et comment contrôler ensuite le respect des obligations par toutes ces associations ? François de Rugy intervient alors pour rassurer l’élu : « l’article 6 ne concerne pas toutes les associations, seulement celles qui veulent des subventions ! ». Il ne convainc pas Alexandre Touzet (ADF) qui confirme : « Dans l’Essonne, nous avons déjà une charte pour les associations qui veulent des subventions, mais beaucoup des associations et clubs de sport régulièrement signalés pour faire partie des lieux-cibles du communautarisme ne demandent pas de subventions ». Sur quoi, Gilles Platret, référent de la Laïcité à l’AMF et maire de Chalon-sur-Saône renchérit : « l’article 6 est un article pédagogique où il n’est pas fait mention de la laïcité par le texte, laissant ainsi entendre que cet oubli volontaire permettrait d’éviter des situations délicate de refus de subventions à des organisations scouts, par exemple ». Aujourd’hui à Chalon-sur Saône, poursuit-il « il y a 600 associations dont 400 reçoivent des subventions de la commune, comment les contrôler ? ». Alexandre Touzet émet alors l’idée de la création de « conférences des financeurs » au niveau départemental afin de favoriser le partage d’informations entre collectivités et renforcer ainsi le contrôle des associations et limiter les doublons. L’idée séduit le rapporteur général Florent Boudié.

Le périmètre de la neutralité en question

Si au travers de l’article 6, certains élus entendent voir figurer le respect de la laïcité parmi les obligations du contrat d’engagement républicain applicables aux entreprises et aux associations, il s’intéressent beaucoup aux conditions de l’extension de la neutralité visée par l’article 1 ; ces dispositions pourraient venir concerner toutes les associations, celles qui ne demandent pas de subventions, comprises. À cet effet, plusieurs élus plaident pour l’élargissement du périmètre de cet article à toute organisation dès lors qu’elle contribue à « produire du service public ». François Baroin évoque alors le cas des accompagnateurs scolaires pour montrer que si l’activité se déroule hors de l’école, elle se fait bien sur le temps scolaire, interpellant les députés d’un : « Vous n’échapperez pas à ce débat, qui n’est pas médiocre ». Un débat qu’il contribue immédiatement à nourrir en invitant les députés à partager avec lui une notion : l’« espace du service public », que Gilles Platret définit ensuite comme « l’espace dans lequel le service public s’accomplit », incluant aussi les salariés des associations. Des discussions qui semblent tout à coup donner un sens à la loi : « nous sommes là dans la recherche d’une avancée universaliste imposée par la laïcité » reconnait Johanna Rolland qui n’ a cessé de plaider pour que le texte affirme « la dimension sociale de la République » et ne soit pas au final « une loi qui vise une religion, mettant au passage, en cause, les élus ».

[1Cellule de Lutte contre l’Islam Radical (départementales)

[2Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes

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